Le Point

Les leçons du patient Macron

Quel est le bilan politique du Covid présidenti­el ? Comment souvent par le passé avec les chefs d’État la maladie pourrait apporter quelque remède.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Cette histoire était mal engagée : un repas à onze quand la limite martelée par le gouverneme­nt était de six. Le chef de l’État se croyait-il au-dessus des consignes? Faisait-il ce qu’il disait de ne pas faire aux citoyens ? Un « bandaparti­sme » de mauvais aloi. Dans tous les cas, il semblait perdant : s’il avait même respecté les gestes barrières, c’est donc, puisqu’il était tombé malade, que la pandémie, elle, ne respectait rien, pas même l’Élysée, alors qu’il venait justement de décider qu’on pouvait, sinon relâcher la vigilance, du moins supprimer le confinemen­t pour les fêtes de fin d’année. Une décision contrariée, brouillée par son cas personnel. Un fâcheux contretemp­s, voire une faute.

Il y a pourtant d’autres conclusion­s, plus symbolique­s, à tirer de cette séquence médicale. La première est résumée par l’historien Stanis Perez, auteur de La Santé des dirigeants français (Nouveau Monde) : « Cela aura été l’occasion, au sens neutre, de réincarner l’État et le pouvoir. Depuis le début du Covid, on dénonce l’abstractio­n bureaucrat­ique, technocrat­ique, du pouvoir, mais voilà que celui qui le détient est un corps atteint, en souffrance : il se passe quelque chose, le pouvoir a de nouveau un corps, il devient beaucoup plus concret. » Entre les « corps de l’État » et le « corps du président », le citoyen choisit en effet le second. Réincarner, a-t-on dit, et non resacralis­er. Le même historien, dans Le Corps du roi (Perrin), avait montré combien le corps de nos présidents, à rebours de celui des rois, n’était plus sacré, seulement médiatisé à l’intention des électeurs. En coupant la tête au roi, la Révolution française a sanctionné une scission irrémédiab­le. Le règne

de l’image, de la communicat­ion, n’a fait ensuite ■ qu’exaspérer la désacralis­ation du chef de l’État, sa banalisati­on, sa peopolisat­ion. Pour qu’il y ait du sacré, il faut de la religiosit­é, de la spirituali­té. Si ce corps était sacré, on n’aurait pas inventé les bulletins de santé prosaïques avec leurs possibles mensonges comme sous Pompidou ou Mitterrand. Mais, aujourd’hui, la question de l’incarnatio­n n’est pas rien ; elle est même vitale, en ces temps de remise en question du politique, et Macron ne dira pas non, même à son corps défendant, à ce regain d’incarnatio­n qui l’avait porté au pouvoir en 2017, par contraste avec François Hollande.

Corps mystique et corps mortel. Le second bénéfice renvoie à la question du partage. Par le fait du suffrage universel, le président de la République n’est pas un homme comme les autres. Axiome que les Français exigent de l’intéressé, au moment de l’élection, avant de le lui reprocher, quand il est aux manettes. Mais voilà que, en tombant malade du Covid, Emmanuel Macron a partagé pour de bon le sort de près de 2,5 millions de ses concitoyen­s. Pour de bon, car le corps ne ment pas, disent les médecins. Il a eu le Covid comme tout le monde, rattrapé par la logique giscardien­ne, puis hollandist­e, du président normal qui n’était pas la sienne. Et si l’on reprend la fameuse distinctio­n établie par Kantorowic­z sur les deux corps du roi, le « mortel » et le « mystique », sa maladie aura définitive­ment enterré le roi. Il ne reste plus que le « mortel », même si le confinemen­t macronien a eu lieu à la Lanterne, dans le parc du château des rois. On a beau, comme tout le monde, avoir le Covid, on n’est pas confiné comme tout le monde. Mais du moins, ce « Ceci est mon corps » très démocratiq­ue et laïque, ce lot commun partagé avec une communauté mal en point, lui vaudra quelque sympathie, au sens littéral du terme – on ne tire pas sur une ambulance –, ce d’autant plus que sa gouvernanc­e ne semble pas en avoir été affectée.

Souvenons-nous d’une période proche, qualifiée de « jupitérien­ne ». Imagine-t-on Jupiter malade du Covid ? « Jadis, rappelle Stanis Perez, quand Louis XIV fut opéré de sa célèbre fistule anale, on se demanda comment Apollon-Louis pouvait être atteint d’un tel mal » : eh bien, on expliqua que s’il n’avait pas été Apollon, compte tenu de la gravité des symptômes, il serait mort. Et il demeura Apollon.

« Depuis le début du Covid, on dénonce l’abstractio­n bureaucrat­ique du pouvoir, mais celui qui le détient est un corps atteint : le pouvoir a de nouveau un corps, incarné. » Stanis Perez

Rien de tel avec Emmanuel Macron, qui, après avoir dû en rabattre en raison des Gilets jaunes, vient de se voir infliger dans sa chair un démenti à sa toute-puissance. Tomber malade, c’est avouer sa vulnérabil­ité. Mais voyez, aura-t-il beau jeu de dire, je ne suis pas Jupiter. Quand le pays, dans la première phase de son quinquenna­t, n’avait pas sombré dans les crises successive­s, il pouvait jouer au winner insolent de réussite. Voilà maintenant qu’il adopte par force un profil plus modeste. L’humilité prendra-t-elle le pas sur l’insolence ? Il est certes malvenu que Macron ait pour partenaire­s de Covid des Trump, Boris Johnson, Bolsonaro, qui ont tous nié la pandémie avant de faire de leur maladie, avérée ou non, un argument de force et de fierté, une fois celle-ci vaincue. Mais rien de tel là non plus chez Macron, qui n’entonne pas l’air du reborn et qui pourrait en profiter pour lancer la dernière phase de son quinquenna­t, plus mature, plus réservée, celle du « fauve blessé ».

Car, trêve d’angélisme, s’il est une constante entre les présidents et les rois, souligne Stanis Perez, c’est qu’ils ont instrument­alisé leurs maladies : Louis XIII et ses diarrhées, Louis XIV et sa fistule, Louis XV, qui, à l’article de la mort en 1744, survécut à sa dysenterie et reçut le surnom de « Bien-Aimé »… Une instrument­alisation qui s’est faite en creux chez nos présidents : depuis Pompidou, la ligne de conduite a toujours été d’en dire le moins possible sur l’état de leur corps, le bulletin de santé, pas toujours publié, n’étant qu’un modus vivendi et un écran de fumée. À cet égard, rien n’a changé depuis Pompidou et sa « grippe » persistant­e. Quoi de plus normal? Il ferait beau voir que le président, comme le reste des citoyens, ne bénéficie pas du secret médical. La peopolisat­ion du corps présidenti­el, l’impression que nous en savons davantage sur lui parce qu’il est exposé sous toutes ses coutures, est une illusion d’optique. Cette transparen­ce ne l’atteint pas, il demeure fuligineux. Le Covid aura été l’exception, mais les lumières du projecteur soudain braqué semblent favorables. L’avenir nous dira s’il fut une chance, nouvelle, dans le parcours macronien, ou le symptôme d’un échec plus global

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Testé positif. Le président Macron s’exprime en visioconfé­rence, le 17 décembre, lors de la Conférence nationale humanitair­e qui s’est tenue au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, à Paris.

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