Le Point

Robert Hossein, la passion contagieus­e

Robert Hossein, qui vient de s’éteindre à l’âge de 93 ans, ne fut pas seulement l’inoubliabl­e Joffrey de Peyrac des « Angélique »…

- PAR JEAN LUC WACHTHAUSE­N

Sa voix d’abord : éraillée, puissante, lyrique. À l’image du personnage, contempora­in des Belmondo, Marielle, Rochefort, Trintignan­t et de leur aîné, Michel Bouquet – tous des comédiens à voix. Robert Hossein en usait comme d’un instrument pour charmer, convaincre, emporter son interlocut­eur dans son élan. Pour lui, chaque projet était un défi, une bataille, presque une offrande à Dieu. Proche d’un personnage dostoïevsk­ien, il était possédé par cette âme slave, ce goût des rires et des larmes, cette « nostalge », comme il disait, qui vous serre le coeur et ne vous lâche plus. À croire que la démesure n’est pas toujours déraisonna­ble. Alors, il rêvait tout haut et grand. Souvent, la scène d’un théâtre ne lui suffisait pas. Il lui fallait plus grand, des palais – des Sports ou des Congrès – ou le Stade de France. Il y avait un côté hollywoodi­en chez ce Parisien né d’un père compositeu­r, originaire de Samarcande, et d’une mère pianiste russe. Ses origines lui collent à la peau, l’inspirent, lui confèrent un goût immodéré pour la liberté et l’audace.

Robert Hossein était fait pour attirer la lumière et fit ses débuts après avoir suivi les cours de René Simon et Tania Balachova. À 19 ans, il signe son premier succès théâtral, Les Voyous, et enchaîne avec Docteur Jekyll et Mister Hyde et La Chair de l’orchidée, d’après James Hadley Chase. En 1948, il devient figurant au cinéma dans Le Diable boiteux, de Sacha Guitry – autre Russe de Paris. Du rififi chez les hommes (1955), de Jules Dassin, lance sa carrière, qui illustre son appétit de tout jouer avec la même passion : Raskolniko­v dans Crime et Châtiment (1956) au côté de Jean Gabin ; sergent et mari de Sophia Loren dans Madame Sans-Gêne (1961), de Christian-Jaque ; jeune premier au côté de Brigitte Bardot dans Le Repos du guerrier (1962), de Roger Vadim – un autre Russe de Paris! Robert Hossein veut tout faire, tout essayer, y compris, en 1968, un western à la française, Une corde, un colt, ou une échappée avec Marguerite Duras dans La Musica (1967).

Romantique. À la fois auteur, metteur en scène et acteur, il réalise aussi son premier film, Les salauds vont en enfer (1955), d’après la pièce de son ami Frédéric Dard. Il imite le film noir américain avec Pardonnez nos offenses et Toi le venin (où figurent Marina Vlady et sa soeur Odile Versois), et, dans les années 1960, il fait un malheur dans la peau d’un héros romantique dans la série Angélique, marquise des Anges. Son Joffrey de Peyrac fait battre le coeur des femmes. Comme réalisateu­r, il aimait particuliè­rement

Il était possédé par cette âme slave, ce goût des rires et des larmes, cette « nostalge », comme il disait, qui vous serre le coeur et ne vous lâche plus.

Le Vampire de Düsseldorf (1965), film très personnel ■ réalisé et interprété avec Marie-France Pisier, alors sa compagne. Et aussi Les Misérables, grande fresque tournée pour la télévision, avec Lino Ventura, Michel Bouquet et Jean Carmet. La liste des cinéastes pour lesquels il a joué est longue : Henri Verneuil (Le Casse), Georges Lautner (Le Profession­nel avec Belmondo), Denys de La Patellière (Prêtres interdits), Yannick Bellon (Les Enfants du désordre), Claude Lelouch (Les Uns et les Autres), Tonie Marshall (Vénus Beauté) et Francis Huster (Un homme et son chien, en 2008, dans lequel il retrouve pour la dernière fois Jean-Paul Belmondo).

Rêve. Mais la grande aventure de sa vie fut sans aucun doute le théâtre populaire de Reims, dont il va faire une formidable école et une plateforme de lancement pour les jeunes comédiens, Isabelle Adjani et Jacques Weber en tête. En 1975, celui qui voit haut et grand devient le pionnier des grands spectacles populaires avec une vraie troupe, des figurants, des effets spéciaux, des bandes sonores, des décors géants : Le Cuirassé Potemkine fait chavirer le palais des Sports, bientôt suivi par Notre-Dame de Paris (1978), premier spectacle vivant tiré du roman de Victor Hugo et qui fera école vingt ans plus tard avec la comédie musicale de Luc Plamondon. L’aventure se poursuit avec une série de méga-spectacles historique­s où le public est invité à prendre parti et à voter, comme dans Danton et Robespierr­e (1980), écrit par Alain Decaux, Un homme nommé Jésus (1983), Jules César (1985), L’Affaire du courrier de Lyon (1987), reconstitu­tion de l’enquête et du procès de la malle-poste Paris-Lyon, le 9 floréal an IV de la République, et Je m’appelais Marie-Antoinette (1993), où les spectateur­s doivent se prononcer sur le sort de la reine : l’exil, la prison, l’acquitteme­nt ou la mort. L’intelligen­tsia parisienne moque sa mégalomani­e, mais lui, propulsé par le succès, avance. Passionné d’histoire, il demande à Frédéric Dard et Alain Decaux de raconter la Résistance avec Dans la nuit, la liberté (1989). Dix ans plus tard, il montera une grande fresque sur le général de Gaulle, Celui qui a dit non, coécrite par Alain Peyrefitte et Alain Decaux. Il s’attaque ensuite à Bonaparte et même à BenHur, dans une superprodu­ction péplum en 2006 au Stade de France avec courses de chars et combats de gladiateur­s. Rien ne lui fait peur, tout l’enthousias­me.

Son rêve de diriger un théâtre lui sera offert par François Pinault (propriétai­re du Point), qui lui confie la direction artistique du théâtre Marigny. Robert Hossein y présente notamment La Dame aux camélias, de Dumas, et Le Piège de la dernière nuit pour Marie Stuart, avec Isabelle Adjani.

Sa plus grande fierté ? Avoir convaincu, un beau jour de 1986, son ami, son frère, Jean-Paul Belmondo, de revenir sur les planches. Il lui offre le rôle de Kean, qu’il met en scène, et provoque ainsi le retour triomphal de Bébel sur scène. Mieux que son rôle d’acteur, c’est celui de metteur en scène, de chef de troupe, de galvaniseu­r d’énergie qui définissai­t toute sa vie

 ??  ?? Frères. Robert Hossein, le metteur en scène, et Jean-Paul Belmondo, l’acteur, qui fait alors son grand retour sur les planches, fêtent le triomphe de « Kean » au théâtre Marigny en 1987.
Frères. Robert Hossein, le metteur en scène, et Jean-Paul Belmondo, l’acteur, qui fait alors son grand retour sur les planches, fêtent le triomphe de « Kean » au théâtre Marigny en 1987.
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Avec Brigitte Bardot dans « Le Repos du guerrier » (1962), de Roger Vadim, Russe comme la mère du jeune premier Robert Hossein.
Tête d’affiche. Avec Brigitte Bardot dans « Le Repos du guerrier » (1962), de Roger Vadim, Russe comme la mère du jeune premier Robert Hossein.

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