Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

Cédric Herrou est un enfant des années 1980 : un révolution­naire sans révolution. Il a été élevé dans le décorum du capitalism­e audiovisue­l signé Mitterrand et Tapie, dont il s’est éloigné à 19 ans. Direction : l’Afrique. Maroc, Mauritanie, Sénégal. Cédric avait l’intention de descendre au Ghana, mais son passeport et son argent lui ont été volés à Dakar. Ainsi a-t-il appris très tôt ce que c’est que d’être sans papiers et dans la misère. Mais il avait une ambassade, alors que ses chers migrants n’ont que des centres de rétention. Il se retrouve à Levens, dans l’arrière-pays niçois, où ses parents se sont installés après leur départ de l’Ariane, un quartier populaire de Nice devenu quartier des dealeurs de Nice. Cédric achète une Mercedes 300 break dans laquelle il aime dormir après avoir fumé beaucoup de haschich. La bohème de l’an 2000. Les déviants sont parfois amenés à mettre du désordre, c’est-à-dire de l’ordre. Dans son livre – Change ton monde (LLL, 19 €), préfacé par J. M. G. Le Clézio –, Herrou ne cache ni ses dysfonctio­nnements, ni ses addictions, ni ses faiblesses. Cet aboulique solitaire, voire misanthrop­e, s’est transformé, pour les besoins de sa cause, en suractif convivial.

Cédric Herrou, de 2016 à aujourd’hui, a pris en charge un certain nombre de migrants retrouvés sur la route, semaine après semaine, entre Vintimille et Nice. Dans sa petite propriété de la vallée de la Roya, il a fini par installer une espèce de camping, ou plutôt de campement, surnommé Le Camping Cédric Herrou (CCH). Une bonne action en appelle une autre, qui en exige une troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on devienne un saint. Dans cette annexe d’Emmaüs et des Restos du coeur, la vie s’organise bien, au grand regret d’un voisinage récalcitra­nt. La misère étant sans limites, pourquoi la charité en aurait-elle ? Après avoir recueilli une famille, il faut la faire dîner. Après le dîner, il faut la coucher. Et le lendemain ça recommence. Cédric Herrou – avec l’aide de ses deux coauteurs Marion Gachet Dieuzeide et Michel Henry – décrit, avec une précision attendrie, cette glissade sans retour vers la bienfaisan­ce. « Le démon du bien », a écrit Montherlan­t. Il y a aussi son ivresse.

Herrou raconte en outre, dans des pages brûlantes de colère et d’indignatio­n, ses combats judiciaire­s. À son actif – certains diraient passif – onze gardes à vue et presque autant de procès, tous gagnés. Il ne fait pas l’unanimité dans sa région, mais les médias nationaux sont avec lui. Ce doux rêveur est devenu en quelques mois une bête de scène. Il affirme que c’est à son corps défendant, mais son corps ne s’est pas beaucoup défendu. Dans l’actuelle révolte clairsemée, divisée entre Gilets jaunes, black blocs et Insoumis, il est une espèce de symbole, celui de la rupture et de l’engagement. En attendant de faire mal, cette rébellion fait le bien, occupation qui en vaut d’autres. Change ton monde est rédigé sans dogmatisme, avec un naturel et une clarté qui plaident pour un combat qui ne plaît pas à tous. Ces hommes, ces femmes et ces enfants errant aux quatre coins de la Méditerran­ée, quel sujet de roman ce serait, si Victor Hugo n’était pas mort ■

« Dans l’actuelle révolte clairsemée, divisée entre Gilets jaunes, black bloc et insoumis, Cédric Herrou est une espèce de symbole, celui de la rupture et de l’engagement. »

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Cédric Herrou.

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