Les éditoriaux de Luc de Barochez, Nicolas Baverez, Pierre-Antoine Delhommais
Autoriser les citoyens vaccinés à reprendre une vie normale permettrait d’accélérer la sortie de crise.
Il serait injuste d’imposer aux vaccinés de rester chez eux. Si la France parvient, malgré son abyssal retard à l’allumage, à immuniser contre le Covid-19 ceux qui le souhaitent, la question se posera : faudra-t-il instaurer un certificat leur permettant de reprendre une vie normale ? Un tel document aurait maints avantages. Sous forme de carnet sanitaire, d’appli de smartphone, de bracelet électronique ou de simple code QR, il permettrait à ceux qui ont reçu la double injection de revenir sans risque au bureau, de fréquenter à nouveau cafés, restaurants, cinémas, théâtres et salles de concert, et de parcourir le monde en avion. Plus vite les vaccinés retrouveront leur liberté de mouvement et de réunion, plus vite les professions les plus affectées par le confinement renoueront avec leurs activités, et plus vite l’économie pourra redémarrer. Les non-vaccinés, eux, devraient continuer à s’astreindre aux gestes barrières, au télétravail et aux autres activités en « distanciel ».
Les arguments brandis, au début de la pandémie, contre l’octroi de tels passeports d’immunité aux malades guéris sont caducs dès lors qu’il s’agit d’individus vaccinés. Les spécialistes avaient fait valoir qu’une infection ne garantissait pas l’immunité durable aux ex-malades. Ils avaient aussi mis en garde contre l’effet pervers d’une mesure susceptible d’inciter nombre de personnes saines à chercher à se faire infecter afin de bénéficier, une fois remis sur pied, des avantages octroyés.
Il convient de s’assurer que les sérums disponibles empêchent bien non seulement la maladie de se développer, mais aussi sa propagation. Si tel est bien le cas – le laboratoire BioNTech assure qu’on en aura le coeur net d’ici février –, alors plus rien n’empêchera la distribution de passeports d’immunité. Le débat est lancé dans plusieurs pays. En Australie, la compagnie aérienne Qantas a indiqué qu’elle comptait rendre obligatoire la vaccination pour embarquer sur ses avions. En Israël, en pointe pour l’inoculation du vaccin, le ministre de la Santé, Yuli Edelstein, a prévu de distribuer un « passeport vert » aux citoyens une fois qu’ils auront reçu la seconde injection. « Il libérera les gens de l’obligation de confinement et permettra d’entrer dans des lieux qui resteront interdits aux autres », a-t-il expliqué.
En Allemagne, à l’inverse, plusieurs responsables politiques ont évoqué la possibilité de légiférer pour interdire aux entreprises, dans la culture ou la gastronomie par exemple, de réserver leurs services aux vaccinés. Leur crainte est la création d’une société à deux vitesses qui établirait une nouvelle distinction entre les êtres humains fondée sur leur santé. Ce serait cependant un abus de pouvoir de la part de l’État de continuer à restreindre la liberté d’un individu dès lors qu’il n’est plus dangereux, ni pour autrui ni pour lui-même. Les mesures coercitives ne sont justifiées que lorsqu’elles contribuent à limiter le nombre de morts et à désengorger les hôpitaux. Leur fondement moral est le vieux principe biblique : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. »
Invoquer une nécessité de solidarité des individus vaccinés avec ceux qui ne le sont pas serait un excès de moralisme. Car qu’en serait-il, à l’inverse, de la solidarité des non-vaccinés avec ceux qui le sont ? Exercer ses libertés fondamentales n’est en aucun cas un privilège. Empêcher une entreprise privée de réserver son offre aux personnes munies du passeport d’immunité serait une nouvelle exagération infantilisante. Il ne s’agirait pas d’une discrimination fondée sur l’état de santé (comme
Continuer à restreindre la liberté d’un individu dès lors qu’il n’est plus dangereux constituerait un abus de pouvoir.
dans l’assurance-crédit), mais sur le fait d’être vacciné ou non.
Il reviendrait à l’État d’encadrer ces pratiques : les transports et services publics ne sauraient être ainsi concernés, de même que les magasins d’alimentation et autres services dits « essentiels ». Il convient également de protéger la confidentialité des données médicales. Mais une fois ces conditions réunies, le retour à la normale pourrait être accéléré. Le « passeport vaccinal » permettrait de limiter les dégâts de la crise et l’explosion des dettes et des inégalités qui en résulte. Et il pourrait même encourager les Français à se faire vacciner, ce qui ne serait pas le moindre de ses avantages
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