Bercy à l’heure des choix douloureux
Hausse des faillites en vue. Toutes les entreprises ne seront plus aidées coûte que coûte.
«Le plus dur commence maintenant. » À Bercy, c’est avec une grande prudence qu’on aborde 2021 après la chute du PIB de 2020. Si le chiffre définitif n’est pas encore connu, la richesse nationale annuelle pourrait bien avoir reculé d’au moins 9 % l’année dernière. Un effondrement inédit depuis la Seconde Guerre mondiale. Officiellement, 2021 doit être l’année du rebond, attendu à + 6 %, grâce, notamment, au plan de relance. Mais ce scénario ne se matérialisera pas en cas de troisième confinement, prévient-on. Autant dire qu’il reste très dépendant de l’évolution de la situation sanitaire et du succès, ou de l’échec, de la campagne de vaccination.
Le ministère se rassure en pointant « la capacité de rebond exceptionnelle » de l’économie française, qui avait crû de 18,7 % au troisième trimestre, quand les restrictions sanitaires avaient été allégées, après l’écroulement constaté de mars à mai. Et il souligne que le deuxième confinement s’est soldé par une diminution de l’activité beaucoup plus faible que lors du premier, d’un peu moins de 12 % par rapport à la situation d’avantcrise, contre 30 % lors du premier.
Dégel. Mais après avoir mis sur la table un plan de sauvetage massif (prêts garantis par l’État, chômage partiel, report ou annulation de charges sociales, fonds de solidarité), qui a paradoxalement abouti à une baisse des défaillances d’entreprises de plus de 30 % en 2020, Bruno Le Maire va devoir faire des choix douloureux, car l’État ne pourra pas porter toutes les entreprises à bout de bras éternellement. « La situation est totalement gelée et on ne sait pas ce qui va sortir du dégel », reconnaît-on à Bercy. Déjà, le ministre a décidé de débrancher, à partir de janvier, le fonds de solidarité, qui versait 1 500 euros aux entreprises ayant enregistré une perte de plus de 50% de leur chiffre d’affaires. Il veut désormais concentrer cette aide, qui permet de toucher jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires perdu (dans la limite de 200 000 euros par mois), les secteurs économiques les plus affectés. Ce qui suscitera des protestations.
Les restaurateurs, les bars, le monde de l’événementiel, ceux de la culture et du sport « doivent savoir que nous continuerons à les soutenir tant que la crise sanitaire durera», promet néanmoins Bruno Le Maire, qui se dit « prêt à faire des propositions au président de la République et au Premier ministre pour renforcer le fonds de solidarité en cas de besoin comme pour les chaînes hôtelières ». Malgré tout, avec la prolongation annoncée de la fermeture administrative au-delà du 20 janvier, la situation devient critique. « Un tiers des restaurants pourraient aller au tapis », craint-on à Bercy.
Banques. Intentionnellement, le ministre a souhaité déléguer aux banques la responsabilité de sélectionner les entreprises qui auront droit à un renforcement de leurs fonds propres via la distribution de prêts participatifs à partir du printemps, alors que l’octroi des plus gros prêts garantis par l’État devait être directement validé par un arrêté de Bruno Le Maire. Et ce pour ne pas prêter le flanc à la critique. Ces prêts participatifs, d’au moins sept ans et dont le remboursement est exigible après le paiement de toutes les autres dettes bancaires, sont considérés comme des quasi-fonds propres pour les entreprises. Destinés à celles qui auront besoin de continuer à investir pour préparer l’avenir malgré la crise, ils devraient provenir de fonds privés, notamment des assureurs, grâce à une garantie des premières pertes de l’État.
« Le dosage va être extraordinairement compliqué sur la question de savoir comment débrancher les aides publiques sans aller trop vite, tout en évitant de soutenir des entreprises zombies », c’est-à-dire qui n’ont pas de réel avenir, mais qui peuvent bloquer l’arrivée sur le marché ou l’expansion d’entreprises plus dynamiques, reconnaît-on au ministère des Finances. Une chose est sûre : « Il va falloir assumer de retrouver un niveau de faillites plus conforme à celui des années passées. » Plus facile à dire qu’à faire… ■