Ces nouveaux variants du virus qui inquiètent les chercheurs
Les vaccins semblent efficaces. À condition d’agir vite.
Ces dernières semaines, on a l’impression de vivre une épidémie dans l’épidémie ! L’année 2021 aurait pourtant dû débuter sous de meilleurs auspices avec l’annonce de l’arrivée des vaccins pour Noël. Patatras ! Non seulement la polémique sur la vaccination en mode « tortue » dans l’Hexagone, comme dans d’autres pays européens, a gâché la fête, mais, pire, il va aussi falloir affronter de coriaces adversaires qui alarment les chercheurs : les nouveaux variants du virus, anglais et sudafricain en tête. La flambée de l’épidémie au Royaume-Uni est en train de doucher les espoirs de ceux qui espéraient encore un lent mais régulier aplatissement de la courbe. La nouvelle variante du SARSCoV-2 apparue mi-septembre à Londres sévit dans toute l’Angleterre, où les hôpitaux débordent comme jamais, et menace le reste du monde. Coupable désigné, même s’il n’est pas seul responsable de cette flambée, ce nouveau variant, baptisé VOC-2020-12-01, représente désormais plus de la moitié des génomes séquencés du virus outre-Manche. Détecté sur le sol français pour la première fois le 25 décembre, il est dorénavant présent dans une trentaine de pays à travers le monde. Sa propagation peut encore être ralentie, mais certainement plus bloquée. Il n’est donc pas exclu que, à l’instar des Anglais, il mène tout droit les Français vers un énième serrage de vis, voire un nouveau confinement.
Pourquoi le nouveau variant anglais gagne-t-il du terrain aussi rapidement ? L’inquiétude sur la transmission facilitée de ce coronavirus repose sur des données épidémiologiques de plus en plus fines et des indices génétiques sérieux. « Depuis le début, on observe des variants de SARS-CoV2 qui dérivent lentement par rapport aux premiers génomes séquencés en janvier en Chine. Ce variant anglais est atypique car on observe un saut dans le nombre des mutations », souligne Bruno Canard, directeur du laboratoire marseillais Architecture et fonction des macromolécules biologiques (CNRS). Plus encore que le nombre de mutations acquises en un temps record, ce qui inquiète les spécialistes, c’est la localisation de huit d’entre elles. Celles-ci se situent en effet sur le gène qui code pour la protéine Spike du virus, connue pour être sa clé d’entrée dans nos cellules en se liant à des serrures présentes à leur surface, les récepteurs ACE2. Deux mutations, susceptibles d’avoir un lien avec la contagiosité, attirent particulièrement l’attention des chercheurs. Baptisées P681 H et N501 Y, elles pourraient provoquer une plus grande affinité du virus pour nos cellules. « C’est un peu comme si la clé du virus trouvait plus facilement la serrure grâce à la première mutation, et qu’ensuite cette clé tournait mieux grâce à la deuxième mu
Le VOC-2020-12-01 est dorénavant présent dans une trentaine de pays.
tation, résume Bruno Canard. Ces mutations sur la Spike sont suffisantes pour expliquer l’augmentation de la contagiosité. » L’autre donnée qui expliquerait la facilité déconcertante du virus à passer d’un individu à l’autre est qu’on le retrouve en plus grande quantité dans les voies respiratoires des patients infectés. Résultat, ces derniers excréteraient davantage de virus autour d’eux, multipliant ainsi les risques de transmission.
Est-il plus dangereux ?
Le variant ne semble pas, en luimême, plus grave pour la santé des individus. Mais, mathématiquement, sa grande contagiosité augmente le nombre de formes graves, d’hospitalisations simultanées et de décès. C’est d’ailleurs ce qu’indique le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) dans son rapport du 29 décembre : le risque de propagation de ces variants est « élevé » en Europe, ce qui pourrait entraîner, du fait de leur contagiosité, « une pression accrue sur les systèmes de santé dans les semaines à venir ». Petit détail rassurant dans cet océan d’inquiétude, la séquence du variant comporte une modification, baptisée ORF8 : « Repérée chez des patients à Singapour, elle a été associée à une atténuation des symptômes », explique le Pr François Balloux, directeur de l’Institut de génétique de l’University College de Londres.
Les enfants sont-ils plus touchés ?
« La nouvelle variante SARS-CoV-2 se développe rapidement, est plus transmissible et affecte une plus grande proportion de moins de 20 ans », a tweeté l’Imperial College de Londres le 31 décembre 2020, à la suite de la publication de son étude.
Mais, pas de panique, attention à l’interprétation de ces données. Comme le souligne Jean Dubuisson, directeur du Centre d’infection et d’immunité à l’Institut Pasteur de Lille : « Ce nouveau variant n’a pas, a priori, une affinité biologique spécifique pour l’organisme des plus jeunes qui expliquerait ces contaminations croissantes. C’est bien davantage parce que les jeunes respectent moins rigoureusement les gestes barrières que les adultes. Étant donné que la charge virale est plus importante chez les personnes infectées, elles sont d’autant plus aptes à contaminer celles qui les entourent. » Pas d’inquiétude non plus quant à la virulence de ce variant, assurent les pédiatres du Royal College : « Pour le moment, nous ne constatons pas de pression significative du Covid-19 en pédiatrie à travers le Royaume-Uni. […] Nous ne voyons pas de plus grande gravité chez les enfants et les jeunes. »
Faut-il craindre l’apparition d’autres variants ?
« Le variant anglais est apparu chez un patient à l’immunité affaiblie, resté infecté longtemps. De plus, il a été traité avec du plasma prélevé chez un patient guéri, donc contenant des anticorps orientés contre le SARS-CoV2. Cela a permis de sélectionner dans l’organisme du patient les virus capables d’échapper à ces anticorps », détaille Mylène Ogliastro, virologue, chercheuse à l’Inrae/Université de Montpellier et vice-présidente de la Société française de virologie. De quoi lui permettre d’esquiver – en partie – les défenses immunitaires chargées normalement de le combattre et de se répandre. « Cet exemple nous montre que le virus peut évoluer très vite dans certaines circonstances. Sans vouloir jouer les Cassandre, entre l’apparition du variant anglais et celle du sud-africain, on voit bien que les variants peuvent émerger n’importe quand », reprend la virologue.
L’efficacité des vaccins est-elle menacée ?
Il est peu probable que ce variant échappe totalement aux vaccins, au moins à court terme. « Il peut y avoir effectivement une baisse d’efficacité qu’il va falloir mesurer, mais ce vaccin va tout de même protéger dans cette première campagne de vaccination », pondère Mylène Ogliastro. En revanche, s’il n’y a pas assez de personnes vaccinées, et vite, les choses pourraient rapidement tourner au vinaigre : « Si on met trois ans à vacciner tout le monde, c’est le pire des scénarios. On va laisser circuler le virus et augmenter la pression de sélection, donc la probabilité d’émergence de nouveaux variants. Pour l’éviter, il faudrait une vaccination de masse. » Et Étienne Decroly, chercheur dans le même laboratoire que Bruno Canard, d’abonder : « On est stratégiquement très mauvais, il est temps qu’on accélère la vaccination. Nous avons plusieurs semaines de retard. Avec un virus qui est plus transmissible, il faut éteindre le feu et vite. La situation va être très compliquée, avec une potentielle troisième vague, la pire qu’on ait jamais vue. »
« Si on met trois ans à vacciner tout le monde, c’est le pire des scénarios. »
Mylène Ogliastro, chercheuse à l’Inrae et vice-présidente de la Société française de virologie
« Ce variant n’a pas, a priori, une affinité biologique spécifique pour l’organisme des plus jeunes. »
Jean Dubuisson, directeur du Centre d’infection et d’immunité à l’Institut Pasteur de Lille « C’est un peu comme si la clé du virus trouvait plus facilement la serrure, et qu’ensuite cette clé tournait mieux. »
Bruno Canard, directeur du laboratoire marseillais Architecture et fonction des macromolécules biologiques (CNRS)