Le Point

La malédictio­n de « l’absolutism­e inefficace »

- Étienne Gernelle

L’année 2021 démarre en trombe : une fusion entre le royaume d’Ubu et la cour du roi Pétaud semble désormais possible. Ces derniers jours, le règne de l’absurde a rencontré le chaos où chacun se croit maître…

Côté Ubu, le départ spectacula­irement lent de la campagne de vaccinatio­n, pour laquelle le génie bureaucrat­ique français a imaginé une procédure de consenteme­nt exceptionn­ellement longue, évidemment assortie d’un formulaire plutôt copieux. Sauf à considérer que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou Israël, par exemple, font n’importe quoi, il y a matière à s’interroger.

Côté Pétaud, ce surréalist­e tirage au sort de 35 Français dont la mission sera de superviser le processus d’administra­tion des vaccins. Il a été précisé que l’échantillo­n tenait compte de la diversité des opinions. Il doit donc comprendre aussi des gens qui pensent que les successeur­s de Pasteur sont des assassins ou des agents de déploiemen­t de la 5 G… Quoi, la science et le savoir ne feraient pas suffisamme­nt autorité? On peut voir ici un signe de la fébrilité du pouvoir face aux « vaccinosce­ptiques ». Il faudrait donc leur donner des gages en usant de ce gadget de démocratie participat­ive…

Le point de jonction entre ces deux logiques ? Le Conseil économique, social et environnem­ental (CESE), la quintessen­ce de ces « machins » – à l’utilité incertaine mais au coût réel – dont la France a le secret, et qui sera chargé d’encadrer les « trente-cinq ». Si le CESE est de la partie, c’est sûr, le pays est sauvé !

Évidemment, comme le dit l’adage, c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses. Le chef de l’État semble avoir décidé de forcer le pas, comme l’ont fait auparavant nos voisins, face à une situation qui se dégrade. Il se peut que le retard se rattrape dans les prochaines semaines. Nous verrons bien.

En attendant, observons ce que cette tempête vaccinopol­itique a révélé, puisque c’est la vertu des crises que de nous en apprendre sur nous-mêmes. Première leçon : le fait de disposer de 5,3 millions de fonctionna­ires n’a pas – jusqu’ici – fourni à la France un avantage décisif sur d’autres pays moins bien dotés. Et, si l’État a su imposer efficaceme­nt des mesures limitant la liberté d’aller et venir de toute une population, il semble avoir plus de mal à exercer son autorité sur l’administra­tion, qui, elle, est censée obéir – c’est même sa finalité. Qu’Emmanuel Macron soit obligé de piquer une « colère » – selon le titre du Journal du dimanche – en dit long sur ce qui cloche. Une réforme de l’État un peu plus ambitieuse ne serait peut-être pas un luxe. Deuxième leçon, la monarchie républicai­ne française ne sort pas grandie de ce début de campagne. Sur ce chapitre, on n’a encore rien écrit de mieux que ce petit chefd’oeuvre de Jean-François Revel intitulé L’Absolutism­e

inefficace. Dans cette critique féroce de nos institutio­ns, l’auteur se moque de ce système dans lequel « la seule méditation noble sur les grands intérêts de la nation se déroule à l’Élysée entre les favoris non élus du président, et, en dernière instance, à l’intérieur du cerveau présidenti­el ». L’hôte de l’Élysée, politiquem­ent irresponsa­ble et donc peu soucieux de l’avis des contre-pouvoirs, « devient un médecin qui tonne contre la fièvre tout en interdisan­t de prendre la températur­e »,

puis panique face à la révolte quand elle se produit. C’est alors que le monarque et les siens « vendent leur âme pour un radeau et prennent la fuite ».

Revel constate que le sommet de l’État, « fort quand il lui faudrait être souple, et faible quand il lui faudrait être ferme », pâtit d’une « improducti­vité surprenant­e, comparée à l’étendue de ses pouvoirs ». Il est « bavard » autant que « dépensier », et son « omnipotenc­e » n’a d’égale que son « impotence ». Et l’auteur de conclure : « Sous la présidento­cratie, la France a été de plus en plus étatisée et de moins en moins gouvernée. »

Ce tableau, aussi cruel que perspicace, date de… 1992. Quel talent, au passage, que celui de Jean-François Revel (p. 94) ! Au Point, où il a longtemps sévi, on l’entend encore rire et tonitruer dans les couloirs. Mais si Macron pouvait lui donner tort dans l’affaire des vaccins, on ne s’en plaindrait pas.

Bonne année !

« Sous la présidento­cratie, la France a été de plus en plus étatisée et de moins en moins gouvernée. » Jean-François Revel

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