Allemagne : Armin Laschet, de Charlemagne à Merkel
Allemagne. Qui est le nouveau patron de la CDU, ancien enfant de choeur, francophile et ambitieux, mais qui doit encore s’imposer dans son camp ?
«Je ne suis peut-être pas l’homme des parfaites mises en scène, mais je suis Armin Laschet. Et vous pouvez compter sur moi. » Le nouveau président de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) allemande brosse là un autoportrait réaliste. Devenu l’un des principaux prétendants à la succession d’Angela Merkel à la chancellerie fédérale, il fait partie de ces dirigeants politiques qui à première vue ne paient pas de mine. Rond et jovial, ce Rhénan de presque 60 ans n’enthousiasme pas les foules. Un quart seulement des Allemands estiment qu’il a l’envergure d’un chancelier. Ils le jugent mou, dénué d’aura et de charisme. Armin Laschet devra donc polir énergiquement son image au cours des prochaines semaines s’il veut conduire son parti à la victoire aux élections législatives du 26 septembre prochain.
Ceux qui le côtoient depuis longtemps décrivent un homme sympathique, à l’écoute des autres, auquel l’exercice du pouvoir n’est pas monté à la tête. Un rassembleur qui n’aime ni polariser ni se mettre en avant. « Il incarne, écrit l’hebdomadaire Der Spiegel, un type d’homme politique calme et réservé. Tout le contraire de ces meneurs charismatiques à la mode dans le monde entier en ce moment : les maîtres de l’autopromotion comme Donald Trump et Boris Johnson ou, dans le camp libéral,
Emmanuel Macron. » En cela, Armin Laschet s’inscrit dans la lignée d’Angela Merkel, qui se méfie tant du pathos en politique.
Ministre-président depuis 2017 à Düsseldorf du Land le plus peuplé d’Allemagne, celui de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, ce fils d’un mineur reconverti en directeur d’école n’a jamais renié ses origines modestes. Il est né le 18 février 1961 à Aix-la-Chapelle, berceau de cette Allemagne rhénane, très catholique et plus douce à vivre que la Prusse austère. L’Allemagne libérale et européenne de Helmut Kohl et de Konrad Adenauer est son modèle en politique. À Aix, l’Europe n’est pas une construction abstraite mais une pratique quotidienne. On va faire ses courses en Belgique, à la piscine aux Pays-Bas. Au début de la pandémie, Armin Laschet s’oppose catégoriquement à la mise en place de contrôles aux frontières que ses collègues réclament.
Pas de frasques. Ce catholique pratiquant fut longtemps enfant de choeur. Père de trois enfants, il est marié depuis trente-cinq ans à Susanne Laschet, une libraire d’Aixla-Chapelle. Ils avaient 7 ans quand ils se sont rencontrés. Ils chantaient tous les deux dans une chorale chrétienne. Armin Laschet vit toujours dans la paroisse où il a été baptisé et où il s’est marié, dans la maison modeste où ses enfants ont grandi. Chaque été, il passe ses vacances en famille dans une pension au bord du lac de Constance. Pas de
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frasques, pas de scandales. ■
Là aussi il ressemble à Angela Merkel, dont il serait, ce n’est un secret pour personne, le dauphin favori. « Il serait faux pourtant de voir en lui un clone d’Angela Merkel, souligne Moritz Küpper, son biographe. Ils sont très différents l’un de l’autre. Angela Merkel est une protestante, une scientifique qui garde son calme, qui étudie ses dossiers jusqu’à la dernière virgule. Armin Laschet est un impulsif, un homme d’instinct qui saute plus facilement d’un thème à l’autre. »
Après des études de droit, il devient rédacteur en chef du journal de l’évêché d’Aix, avant d’entamer une carrière politique en dents de scie. Il a 18 ans lorsque ses amis le poussent à entrer à la CDU. Il n’a alors aucun plan de carrière en tête. « Il aime organiser, s’occuper des autres et pas forcément faire de la politique politicienne », explique Moritz Küpper. À 33 ans, Armin Laschet est élu au Bundestag, mais perd son mandat quatre ans plus tard. Il encaisse le coup et se fait élire au Parlement européen en 1999. Les années qu’il passe alors entre Bruxelles et Strasbourg ont renforcé ses convictions proeuropéennes. « Laschet, c’est une bonne nouvelle pour l’Europe et pour la France, confirme Daniel Cohn-Bendit, qui l’a côtoyé au Parlement européen. Il a toujours insisté pour que l’Allemagne réponde aux propositions d’Emmanuel Macron sur l’Europe, alors qu’Angela Merkel a résisté jusqu’au plan de relance.» Laschet est depuis deux ans ministre plénipotentiaire chargé des relations culturelles franco-allemandes. Un poste qui lui tenait à coeur. Il n’a cessé de promettre qu’il intensifierait cette relation bilatérale privilégiée. Laschet a rencontré un bon nombre de hauts responsables politiques français. Le 14 juillet dernier, il trônait à la tribune d’honneur des cérémonies officielles. Emmanuel Macron l’avait invité pour le remercier d’avoir accueilli dans un hôpital d’Essen des malades du Covid-19 originaires de Metz.
En 2005, il est rappelé à Düsseldorf, où il devient le premier ministre régional de l’intégration en Allemagne. Son engagement en faveur de l’immigration lui vaut le sobriquet d’« Armin le Turc ». En 2015, quand Angela Merkel refuse de fermer les portes de son pays à des centaines de milliers de réfugiés, nombreux sont ceux au sein de la CDU qui la critiquent et prennent leurs distances. La chancelière plonge dans les sondages, mais lui la soutient sans faillir.
Sur d’autres questions, en revanche, il a pris ses distances. Durant
la guerre civile syrienne, ses positions sont très divergentes de celles du gouvernement à Berlin. Il se range du côté de Bachar el-Assad, exige que l’Allemagne révise sa position hostile vis-à-vis du dictateur et accuse les États-Unis de soutenir l’État islamique. Pour lui, une solution de la crise syrienne n’est possible qu’avec la Russie. Il estime qu’il faut cesser de diaboliser Vladimir Poutine et même intensifier le dialogue avec Moscou.
Armin Laschet a essuyé plusieurs déconvenues tout au long de sa carrière. Mais il sait attendre son tour. C’est sa grande force, disent ses proches. Il finit en 2017 par remporter – c’est une surprise et un triomphe– les régionales de Rhénanie-du Nord-Westphalie, arrachant un bastion qui fut pendant un demi-siècle aux mains du Parti social-démocrate (SPD). Il sauve ainsi l’honneur de la CDU, qui, depuis la crise des migrants et la naissance de l’AfD sur sa droite, a perdu beaucoup de plumes. À Düsseldorf, il forme une coalition avec le FDP, le petit parti libéral.
Allergique au populisme. Difficile à cerner, sans ligne idéologique ferme, Armin Laschet plaide à la fois pour la continuité avec l’ère Merkel et le changement sans pour autant dévoiler une stratégie précise pour la modernisation de son pays. « Continuer comme avant, c’est continuer le succès », dit-il. Il entend rester fermement ancré au centre de la société, cette fameuse « Mitte » si chère à Angela Merkel. Il est allergique aux sirènes populistes : « Nous ne laisserons pas ceux qui essaient d’incendier les esprits détruire notre pays. » Et rappelle à ceux qui, comme lui, ont été choqués par les images du Capitole assailli par des émeutiers pro-Donald Trump, qu’aucun pays n’est à l’abri de tels débordements. Qu’on se souvienne des drapeaux du Reich déployés par les manifestants antivaccin sur les marches du Bundestag, à Berlin, à l’automne dernier. Pas question pour lui de flirter avec la démagogie populiste pour tenter de ramener au bercail les brebis chrétiennes démocrates égarées
du côté de l’AfD. À ceux qui reprochent à Angela Merkel d’avoir, en menant une politique de centregauche, ouvert une brèche sur le flanc droit du parti, Laschet répète qu’il ne changera pas de cap. La solidarité, la paix sociale, l’économie sociale de marché sont ses radars. Le nouveau président de la CDU va cependant devoir intégrer ceux qui – et ils sont nombreux à la base du parti et parmi ses délégués– auraient préféré une victoire du très conservateur Friedrich Merz, qu’il a battu d’une courte tête. « Rassembler », « ne pas polariser », « chercher les compromis», a-t-il martelé lors de son intervention avant le vote à la présidence du parti.
Le nouveau patron de la CDU est flexible et pragmatique. Il est tout autant capable de diriger une coalition traditionnelle avec le FDP que de gouverner avec les Verts. Quand il était député, il a fait partie d’un cercle de jeunes chrétiens-démocrates qui rencontrait les représentants des Verts dans une pizzeria de Bonn pour tâter le terrain en vue d’une future alliance. Il entretient depuis des liens avec plusieurs dirigeants du parti écologiste, auquel les sondages prédisent un bon score aux législatives.
Armin Laschet n’a pas encore abattu ses cartes. Sera-t-il le candidat de la droite à la chancellerie?
Pour Moritz Küpper cela ne fait pas l’ombre d’un doute : «Je suis convaincu qu’il présentera sa candidature. Il en a envie. La politique n’est pas un fardeau pour lui, et il est en assez bonne condition physique pour pouvoir travailler treize heures par jour minimum. » Mais le temps presse. Celui qui pendant longtemps fit figure d’éternel second devra s’imposer dans les semaines à venir. Deux régionales à la mi-mars dans le Bade-Wurtemberg et en Rhénanie-Palatinat seront déterminantes. La CDU réussira-t-elle à stopper l’érosion qu’elle a connue avant la pandémie? Sera-t-elle assez forte pour imposer son candidat ? La tradition veut en principe que le président de la CDU devienne le candidat du camp conservateur, formé par la CDU et sa petite soeur bavaroise, la CSU. Mais le chef de celle-ci, Markus Söder, ministre-président de la Bavière, n’a toujours pas fait part de ses ambitions personnelles. Laschet et Söder se sont affrontés ouvertement sur la gestion de la pandémie. Partisan de la manière forte et d’un confinement strict, Markus Söder est devenu l’homme politique le plus populaire d’Allemagne. Nombreux sont ceux qui verraient bien en lui le prochain chancelier. La gestion plus souple d’Armin Laschet, longtemps partisan d’un confinement moins sévère, ne lui a pas profité. Personne n’a oublié le scandale des abattoirs Tönnies, les plus grands d’Europe. Le virus avait rapidement contaminé la main-d’oeuvre souspayée venue de Roumanie et de Bulgarie. Et quand, au tout début de la pandémie, Laschet refuse d’annuler les festivités du sacro-saint carnaval qui rassemble des dizaines de milliers des personnes éméchées dans les rues, le maire de Berlin, Michael Müller (SPD), se moque de lui : « Nous avons été les premiers à Berlin à annuler le Salon du tourisme pendant que d’autres Länder festoyaient joyeusement pour le carnaval avec leur ministre-président. »
Fief d’Aix-la-Chapelle. Ce baron régional aura-t-il les épaules assez solides pour la double tâche colossale qui attend le prochain chancelier: contenir au mieux la pandémie et éviter la casse économique, tout en se dégageant de l’ombre écrasante de celle qui a dirigé l’Allemagne pendant seize ans ? Une caricature circule ces derniers temps : on y voit la chaussure d’Angela Merkel et Armin Laschet, l’air épuisé, qui essaie en vain de l’escalader. Tout comme Helmut Kohl (surnommé « la poire ») et Angela Merkel («la gamine de Kohl») à l’orée de leur carrière à la chancellerie, Armin Laschet est un homme politique sous-estimé. Il a l’habitude qu’on se moque de lui. Kohl puis Merkel ont fini par s’imposer. Laschet, lui, est un baron régional puissant. Avec ses 18 millions d’habitants, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie compte près du quart de la population allemande. « Un gentil monsieur Laschet, confie-t-il quelque peu excédé dans une interview accordée au journal populaire Bild, ne serait devenu ni ministre-président du plus gros Land d’Allemagne ni président de la CDU. » Armin Laschet sait que son fief d’Aix-la-Chapelle était le coeur de l’Empire carolingien. Sur son bureau trône un buste doré de Charlemagne, le père de l’Europe, dont il prétend, pincesans-rire, être le descendant. Les généalogistes qui s’y sont collés ont été incapables de confirmer une telle filiation
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« Laschet, c’est une bonne nouvelle pour l’Europe et pour la France. » Daniel Cohn-Bendit