Le Point

Beardsley, génie pas vu

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Elle aura duré quatorze jours. Quatorze jours, la magnifique exposition « Aubrey Beardsley » au musée d’Orsay. Sacrifiée, comme tant d’autres, par la mise sous cloche des musées en temps de Covid. Peut-être aurait-il fallu accrocher les chefsd’oeuvre de cet artiste de génie dans quelques supermarch­és – ouverts, eux – pour qu’ils puissent être vus par le plus grand nombre ? Quatorze jours. Il faut dire qu’il a vécu, lui, vingt-cinq ans. Il aurait peut-être ri de cette ironie : une exposition trop tôt fanée, comme sa vie. Aubrey Beardsley (1872-1898), on tenait à vous en parler quand même. Dandy au talent fou, doté de longs doigts qui, paraît-il, étaient un spectacle en eux-mêmes quand on les voyait s’agiter sous le coup d’une émotion, ce météore du dessin aura, en cinq ans, révolution­né les arts graphiques de la fin du XIXe siècle avec ses femmes fatales croquées d’un trait sûr et cruel (pour la Salomé d’Oscar Wilde, par exemple), ses aristocrat­es baroques aux sexes démesurés réalisés pour la Lysistrata d’Aristophan­e, ses jardins exubérants, ses foetus obscènes et ses couverture­s pour la revue The Yellow Book, qui marquèrent à vie le Huysmans d’À rebours. Tout un monde en noir et blanc, vénéneux, racé, d’une modernité dingue. Et d’une liberté ! L’exposition d’Orsay était la première en France consacrée au jeune et grand Beardsley, et même la première d’une telle importance en Europe depuis celle du Victoria and Albert Museum, à Londres, en 1966. Dommage. Il reste le catalogue, et ce n’est pas qu’un pis-aller. Il est superbe, un bien beau cadeau à faire, noir avec de grandes orchidées d’or, reproduisa­nt une large sélection de ses oeuvres et, en bonus, les pochettes des disques anglais

– dont Revolver, des Beatles, et Procol Harum, du groupe éponyme – que ce jeune homme rock avant l’heure inspira copieuseme­nt. À défaut de le voir, on peut donc aussi l’écouter. Goodbye, Beardsley ! CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

Aubrey Beardsley, catalogue de l’exposition

(RMN-Grand Palais/Musée d’Orsay, 215 p, 39 €).

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Illustrati­on de « Salomé », d’Oscar Wilde.

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