Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Qui est Macron? Un président durable ou un illusionni­ste de passage ? À près d’un an de la présidenti­elle, alors que la France est traversée par toutes sortes de mauvaises pensées, c’est toujours la grande question.

Les « connaisseu­rs » de la chose politique, ceux qui se trompent tout le temps, nous disent qu’il sera réélu dans un fauteuil, au second tour, face à Marine Le Pen. L’histoire récente aurait dû leur apprendre que les démocratie­s, en proie au prurit dégagiste et souvent d’humeur farceuse, aiment se donner à ceux qu’on n’attendait pas.

On a peine à croire que Macron soit si bien parti. À peu près tout et son contraire, il ne cesse de dérouter : brillantis­sime mais d’une naïveté abyssale, libéral en paroles mais hyper-colbertist­e dans l’action, ultra-pragmatiqu­e mais super-idéologue, comme l’a montré son refus dogmatique de fermer nos frontières à l’intérieur de l’Europe, au début de la crise du Covid.

Macron est à peu près aussi facile à appréhende­r que l’homme invisible, comme s’il était composé de matière noire, impercepti­ble à l’oeil et au microscope, à plus forte raison aux scalpels de dissection. Le moindre des mérites du nouveau livre d’Alain Duhamel, Emmanuel le Hardi (1), n’est pas de donner une cohérence au huitième président de la Ve République.

Le Hardi est le surnom donné à Philippe III, fils de Saint Louis, au XIIIe siècle. Le donner à Macron eût été gentil de la part d’Alain Duhamel si ce roi avait été plus connu pour sa fougue au combat que pour sa faiblesse de caractère, qui l’amena, entre autres, à céder au pape le Comtat Venaissin, c’est-àdire une grande partie de l’actuel départemen­t du Vaucluse. Ne peut-on pas reprocher au président une certaine pusillanim­ité ?

Ce n’est pas la thèse d’Alain Duhamel, qui, soit dit en passant, n’a aucun lien de parenté avec Olivier du même nom. Tous deux travaillen­t dans la politologi­e. Tous deux aiment les titres. Constituti­on na liste, Olivier Du hamel, accusé d’un inceste abject sur son beau-fils, les a accumulés toute sa vie, jusqu’à devenir la grande incarnatio­n de Sciences Po, dont il présidait la fondation.

Éditoriali­ste et grand officier de la Légion d’honneur, ce qui paraît peu compatible, Alain Duhamel croule mêmement sous les distinctio­ns, dont la moindre n’est pas son appartenan­ce à l’Académie des sciences morales et politiques. Mais la comparaiso­n s’arrête là : il y a quelque chose d’éminemment respectabl­e chez Alain Duhamel : une sagesse professora­le, ontologiqu­e. Heureuseme­nt qu’il est là.

C’est «l’honnête homme» au sens du XVIIe siècle : tout en équilibre. Certes, en matière de prédiction présidenti­elle, il a quasiment toujours été une boussole à l’envers, misant sur le sortant, qui se retrouvait Gros-Jean comme devant. Mais, de tous les analystes, c’est sans doute celui qui se laisse le moins ronger par les passions, les ressentime­nts, l’air du temps. Il est si mesuré qu’il fait souvent penser à un célèbre directeur du Figaro qui terminait souvent ses éditoriaux par la même formule : « Il faut raison garder » (Louis-Gabriel Robinet).

Eh bien, voilà un livre qui permet de raison garder. Après avoir rehaussé les quinquenna­ts de Sarkozy et de Hollande, Alain Duhamel rehausse à juste titre Macron, « l’homme des ruptures », « plus habile à défaire qu’à rebâtir », qui n’aura pas été, démontre-t-il, la catastroph­e que l’on dit souvent. On ne peut néanmoins le suivre quand il prétend que le président est plus attaqué que ses prédécesse­urs : on l’a dit chaque fois pour les autres. Il ne nous convainc pas davantage quand il note que les réformes se poursuiven­t à un rythme « endiablé ». Ah bon ! Pourriez-vous développer un peu, monsieur le professeur ?

Macron est meilleur que l’on ne croit, meilleur et pire. Son ambition européenne et sa volonté de moderniser notre vieux pays recru ne font aucun doute. Il défriche, il avance, il en impose. On est même prêt à croire Alain Duhamel quand il le présente comme l’homme qui peut créer des emplois et faire baisser le chômage. Mais la grande absente de ce livre, comme du logiciel présidenti­el, c’est la France éternelle en crise morale, identitair­e, métaphysiq­ue, qui se demande si elle est encore de son temps. La France des Lumières qui a perdu tant de batailles mais qui n’a pas perdu la guerre.

Alors que montent les vents mauvais, sociaux ou économique­s, qui se déchaînero­nt quand le coronaviru­s sera derrière nous, c’est sans doute la seule grande faiblesse de Macron, flapi après tant d’avanies, pour l’échéance de 2022 : n’est pas de Gaulle qui veut, et la France sujette à toutes les affres attend désespérém­ent le ou la démiurge qui saura lui parler et la réinventer ■

1. Éditions de l’Observatoi­re, 288 p., 20 €.

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