L’éditorial d’Étienne Gernelle
Les leçons de Mila à Emmanuel Macron
« J’ai l’impression qu’on se débrouille très mal avec les menaces islamistes, comme si la police et la justice ne savaient pas comment faire, qu’elles étaient débordées. » Mila
Il ne peut pas s’en plaindre. Lui qui, à 39 ans, a ravi l’Élysée au nez et à la barbe de « l’ancien monde » devait s’attendre à ce que les générations suivantes lui demandent, même poliment, des comptes. Cette semaine, une fois n’est pas coutume, c’est donc une lycéenne qui fait la une du Point. Pas n’importe laquelle : Mila, 18 ans dans quelques mois, la clandestine de la République. L’affaire qui porte son nom a commencé il y a un an. Pour avoir vitupéré contre l’islam (et non contre les musulmans) sur les réseaux sociaux, elle s’est vue menacée de mort, a dû quitter son lycée, être placée au secret dans un autre, dont elle a été ensuite exclue pour n’en avoir pas suffisamment bien dissimulé le nom. Un traumatisme pour elle, sûrement, mais aussi pour la France. Mila doit aujourd’hui encore se cacher, au contraire de la plupart de ses agresseurs d’alors. Cela ne ressemble pas à une bataille bien engagée.
Emmanuel Macron, curieusement, n’a jamais pris le temps de passer un coup de fil à Mila. C’est dommage. Pour le principe, mais aussi parce qu’il aurait pu en tirer quelques enseignements.
La première leçon lui est administrée nommément. Interrogée par Peggy Sastre sur ce qu’elle dirait au président si elle pouvait lui parler, elle répond, avec humilité mais franchise : « Si je m’imagine en mesure de lui conseiller de faire quelque chose… Je crois que ça serait de poser certaines limites à la pratique de l’islam en France. »
De ce point de vue, Macron, il est vrai, semble avoir déjà entendu le message. Son discours sur la laïcité, qui fut un peu flou par le passé, a retrouvé de la clarté et de la vigueur, contribuant par exemple à une clarification au sein des instances musulmanes de France.
Il n’empêche, cette remarque de la part de celle qui connaît bien la question lui serait bien utile : « J’ai l’impression qu’on se débrouille très mal avec les menaces islamistes, comme si la police et la justice ne savaient pas comment faire, qu’elles étaient débordées. Parmi les gens qui m’ont menacée, très peu ont été retrouvés et condamnés. Et en attendant, ils ont tout le temps de me tuer. » Pour elle, ce n’est pas une question abstraite.
La deuxième leçon, plus indirecte, mais qui se dégage nettement de l’interview (lire p. 48), est que l’on peut s’adresser aux Français comme à des adultes. C’est ce que démontrent la lucidité et le courage de cette adolescente, qui non seulement affronte son destin mais va jusqu’à se moquer de la fébrilité de sa génération, « une bande de pleurnichards et de petites chochottes », ditelle. Une information précieuse pour le chef de l’État, alors que l’infantilisation bat son plein, que son administration s’adresse aux Français à coups de « papy et mamie… » et que l’on fait remplir à nos concitoyens des attestations qu’aucune autre grande démocratie n’exige… Auteur d’un brillant essai sur le sujet, Infantilisation (lire p. 95), Mathieu Laine explique que « la croissance de l’État nounou, toujours plus moraliste, égalitariste et accusateur, fait de nous des engourdis, des râleurs insatisfaits, des geignards dépendants qui, au moindre problème, se tournent vers l’État ». En complément de cette lecture, une conversation avec Mila aurait peut-être convaincu le président qu’une autre voie était possible. Troisième leçon : « la jeunesse est en train de pourrir », dit Mila, qui, même si elle invite à «relativiser nos petits malheurs », n’en constate pas moins un sacrifice générationnel. Un sujet que le président de la République n’ignore pas : il avait présenté, en 2008 – Mila avait 5 ans –, un rapport sur la « question de l’équité intergénérationnelle ». Après avoir – et c’est à l’honneur de notre époque que l’on disait égoïste – arrêté le pays pour sauver les plus âgés, un plan ambitieux pour les générations d’après ne serait pas un luxe. Notamment en ce qui concerne le marché du travail, encore particulièrement verrouillé en France, malgré les ordonnances Pénicaud, et qui risque fort de rester fermé aux nouveaux venus une fois la brume du Covid dissipée. Macron doit-il se replonger dans les ennuis de la réforme ? Et pourquoi pas ? L’enjeu en vaut la peine. « C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale, écrivait Bernanos. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. » Passez un petit coup de téléphone à Mila, monsieur le président, vous ne perdrez pas votre temps !