Le Point

Les éditoriaux de Nicolas Baverez, Luc de Barochez, Pierre-Antoine Delhommais

Le pays de Pasteur ne doit pas rater l’étape cruciale de la vaccinatio­n de masse, préalable indispensa­ble à la reprise économique.

- Par Nicolas Baverez

Seule la vaccinatio­n peut mettre un terme à l’épidémie de Covid-19, en l’absence d’un traitement efficace. Mais sa mise en oeuvre prendra du temps et l’OMS a souligné qu’il était vain d’espérer l’immunité collective en 2021. La permanence de l’épidémie aura naturellem­ent d’importante­s conséquenc­es sanitaires, augmentant le nombre des victimes et imposant la poursuite de mesures restrictiv­es de plus en plus difficilem­ent supportées par les population­s. Mais les dommages économique­s et sociaux ne sont pas moindres, avec le risque d’effondreme­nt des secteurs mis à l’arrêt, la multiplica­tion des faillites, des chômeurs et des dettes. Surtout, les séquelles psychosoci­ales vont croître de manière exponentie­lle, notamment pour les plus déshérités, les précaires et les jeunes dont les études et l’entrée dans la vie active sont compromise­s.

Il est donc vital de rétablir rapidement la vie économique et sociale sur fond d’une épidémie qui sera longue. Et notamment de permettre le redémarrag­e des secteurs les plus touchés, dont le blocage entrave la reprise et menace la croissance potentiell­e, du fait de la multiplica­tion des entreprise­s et des emplois zombis ainsi que d’un endettemen­t public et privé hors de tout contrôle. Par ailleurs, comme le montre l’Asie, la relance sera inégale et se concentrer­a sur les pays qui seront parvenus à rouvrir les premiers tout en assurant la sécurité sanitaire.

Parmi les pays développés, la France est particuliè­rement exposée à un risque d’effondreme­nt en raison de la défaillanc­e de l’État dans la lutte contre l’épidémie, mais aussi de l’amputation de 10 % de sa production résultant de la déstabilis­ation de ses pôles d’excellence: l’aéronautiq­ue; le tourisme, dont les pertes s’élèvent à 61 milliards d’euros du fait de la baisse de 56 % des visiteurs étrangers ; l’hôtellerie et la restaurati­on, l’événementi­el et la culture, qui sont désormais au bord du krach.

La priorité consiste naturellem­ent à accélérer la vaccinatio­n à tous les stades : homologati­on, production, distributi­on, administra­tion. Mais elle ne permettra pas la reprise de l’économie, et notamment des secteurs sinistrés, si elle n’est pas accompagné­e de la mise en place rapide d’un passeport vaccinal. Il fait pourtant l’objet d’un feu roulant de critiques, surtout de la part des autorités françaises.

Les contestati­ons du passeport vaccinal se concentren­t sur son inefficaci­té, son caractère inégalitai­re et son atteinte aux libertés et à l’éthique. Aucune ne résiste à l’examen. 1. Le passeport vaccinal n’est pas un passeport immunitair­e, puisque les connaissan­ces actuelles ne permettent pas d’affirmer que les vaccins contre le Covid empêchent sa transmissi­on. Des

L’aéronautiq­ue, le tourisme, l’hôtellerie et la restaurati­on, l’événementi­el et la culture sont désormais au bord du krach.

tiné à permettre la réouvertur­e d’activités clés comme les voyages d’affaires ou le tourisme, le sport ou la culture, il n’enlève rien à l’obligation de respecter les normes sanitaires en vigueur, en particulie­r les gestes barrières et le port du masque. À l’inverse, il apporte à tous une sécurité essentiell­e en permettant de certifier les institutio­ns, les laboratoir­es et les vaccins fiables. 2. Le principe d’égalité impose un traitement égal à condition égale. Il est parfaiteme­nt compatible avec le fait de subordonne­r l’accès de certains services à la vaccinatio­n, ce qui est déjà le cas en France pour l’inscriptio­n des enfants dans les crèches ou les écoles ou pour la fièvre jaune dans certains pays. 3. Du point de vue des libertés, la mise en place d’un passeport vaccinal est infiniment moins pénalisant­e que le confinemen­t à répétition de l’ensemble de la population, la mort programmée de secteurs économique­s entiers ou le basculemen­t dans la pauvreté et l’anomie d’une partie des citoyens, notamment des jeunes. 4. Au plan éthique, le passeport vaccinal n’instaure pas de discrimina­tion, de privilège ou d’obligation cachée de se vacciner : il établit les conditions sanitaires de la continuité de la vie nationale en conditionn­ant l’accès à certaines activités exposées mais non essentiell­es aux personnes vaccinées qui protègent les autres tout en se protégeant ; il crée une incitation salutaire pour les citoyens à se faire vacciner et pour les pouvoirs publics à accélérer la vaccinatio­n.

Le passeport vaccinal est donc un instrument rationnel, efficace et compatible avec les libertés fondamenta­les, qui se révèle indispensa­ble à la sortie de l’épidémie. D’où la multiplica­tion des projets dans le monde, de l’applicatio­n universell­e, décentrali­sée et personnali­sée Travel Pass développée par l’IATA qui fédère 290 compagnies aériennes assurant 80 % du trafic aérien dans le monde, au passeport vert en Israël. Voilà pourquoi l’Union doit, sous le contrôle des Parlements, débattre au plus vite de la création d’un passeport vaccinal européen sous la forme d’une applicatio­n digitale assurant la protection des données personnell­es. Voilà pourquoi la France, dont la sortie de crise en dépend, doit prendre la tête du combat pour le passeport vaccinal. Et ce tout en garantissa­nt un accès universel, rapide et gratuit au vaccin.

La mise en place d’un passeport vaccinal constitue une étape indispensa­ble pour passer du confinemen­t au rétablisse­ment de la vie économique et sociale, de la peur à la liberté. La France, qui a enchaîné les échecs et les retards en matière de gels, de masques, de tests puis de campagne de vaccinatio­n, ne peut s’offrir le luxe d’un nouveau fiasco. Il serait d’autant plus paradoxal que le passeport et le vaccin sont tous deux des inventions de notre pays. Le premier fut mis en place par Louis XIV pour servir de sauf-conduit aux voyageurs et contrôler les déplacemen­ts dans le cadre de sa stratégie mercantili­ste, avant d’être rendu obligatoir­e par la Révolution française désireuse d’affirmer la souveraine­té nationale ; le second fut découvert par Louis Pasteur en 1880 et expériment­é par lui avec succès en 1885. Si la France veut se redresser, il est plus que temps que ses dirigeants cessent de célébrer tout ce qui la ruine et de condamner tout ce qui pourrait la sauver. À défaut de disposer d’un vaccin français, travaillon­s donc à la création et au déploiemen­t rapide d’un passeport vaccinal européen !

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