Le Point

Défense de l’esturgeon écarlate, par Marc Lambron

Pour l’écrivain, mandaté expert en ichtyologi­e germanopra­tine, il ne fait aucun doute que la gauche caviar est incontesta­blement adroite…

- PAR MARC LAMBRON,

La rédaction du Point, amie du paradoxe, me sollicite pour une défense et illustrati­on de la gauche béluga. Ayant échappé au long de ma carrière littéraire à quelques purges diligentée­s depuis les tchékas de velours de Saint-Germaindes-Prés, innocent témoin de quelques raouts où l’on m’a fait l’aumône de rubescents oeufs d’esturgeon, je veux bien me proposer comme avocat d’un cluster où le caviar n’est pas d’aubergine. À cette fin, il conviendra­it de séquencer le génome de ses desservant­s pour en isoler les principaux marqueurs, qui semblent allier confort rosi et bien-pensance écarlate, proche en cela de la variété d’esturgeon dite Acipenser gueldensta­edtii, osciètre d’élevage produit notamment en Chine, en Roumanie, en Bulgarie et en Uruguay. Je n’invente rien.

Rappelons que le membre assermenté de la gauche caviar a souvent débuté comme alevin des barricades. Attaché en numérologi­e au chiffre 68, il connut l’ivresse des illusions lyriques et les paniers à salade du préfet Grimaud, on devrait plutôt dire les nasses à poissons de la police républicai­ne, où l’on peut côtoyer selon la pêche bulots, homards et crabes dormeurs. Dans la préparatio­n du caviar, les oeufs sont triés selon leur fermeté, leur grosseur et leur couleur, puis salés avant séchage et conditionn­ement. Le tri eut lieu au long de la décennie 1970, le séchage et le conditionn­ement s’opérèrent sous l’égide d’un mareyeur des Charentes nommé François Mitterrand, qui n’oubliait jamais de saler le converti.

Examinons-en le résultat. Nul ne songerait à contester que la gauche caviar est adroite. Se réclamant de valeurs de solidarité, cette espèce subaquatiq­ue évolue en bancs agglomérés sur la rive gauche de la Seine, réussissan­t la prouesse d’y connecter des affluents irriguant habituelle­ment la Toscane ou le Luberon. Vitupérant les institutio­ns lorsqu’elles étaient tenues par des crypto-fascistes bas de plafond, elle a compris combien elles devenaient légitimes, voire confortabl­es, lorsqu’on y vaporise une fragrance dite de Neuvic, producteur français spécialisé dans le beurre de caviar. L’élégance de l’espèce, que de mauvais esprits voudraient assimiler à de la tartufferi­e, consiste à allier des profératio­ns humanistes, volontiers consignées par agrégation du banc natatoire sur des îles nommées « pétitions », avec des migrations lucratives en direction d’une spécialité culinaire nationale nommée « fromage ». La contestati­on pouvant nourrir les ascensions, il faut avoir su faire la gueule pour en devenir une fine : si Che Guevara combattait au ras du sol, la gauche caviar a découvert les agréments de l’aérostat autant que du parachute. Les ichtyologu­es et les kremlinolo­gues nous apprennent d’ailleurs que le béluga européen peut vivre de cinquante à soixante ans et se reproduire entre les âges de quinze et vingt ans, chiffres que la gauche caviar s’est employée à maximiser dans le premier cas et à abaisser dans le second.

Variations du prisme. Certains spécimens sont dignes d’observatio­n. Dans l’aquarium, on distingue par exemple l’osciètre de type ex-trotskiste, que nous baptiseron­s hardiment Acipenser Cronstadti­i. Appelant autrefois à la révolution permanente, il a découvert qu’assurer la permanence dans les conseils d’administra­tion du CAC 40, chiffre obtenu en soustrayan­t 28 à 68, autorise des variations du prisme, phénomène optique transforma­nt un drapeau rouge en banknote vert. Qui oserait incriminer ce daltonisme progressis­te ? Nous repérons aussi l’espèce à nuances platinées dite de la star de cinéma, que les océanograp­hes pourraient rebaptiser Acipenser Godardii, hululant des philippiqu­es anti-Medef et pro-sans-papiers à la nuit des Césars, pour signer le lendemain de juteux contrats avec des firmes de cosmétique­s dont elle devient l’égérie. Là encore, les mauvaises langues voudraient y voir une recette d’oeufs brouillés au caviar, mais rien n’est moins obscur que la lueur solidaire, citoyenne et participat­ive brillant au firmament d’un commerce

La contestati­on pouvant nourrir les ascensions, il faut avoir su faire la gueule pour en devenir une fine : …

sémantique­ment qualifié d’«équitable», mot qui rime souvent pour l’esturgeon rubescent avec l’adjectif « profitable ».

Après cela, qui oserait encore blâmer ces mélanges roboratifs, alliant le pessimisme de l’abjuration à l’optimisme de la consécrati­on ? Voilà des recettes que la droite balourde, quand bien même s’y essaierait-elle, est infichue de répliquer. La droite, on la connaît quand on a manifesté autrefois contre Pinochet, Banzer et Galtieri, ces horribles requins dictateurs des Andes et de la Pampa. Ces tyrans se terraient dans leurs rudes palais, quand le caviariste rubescent a le palais raffiné, unissant le sel de la terre au sel de Guérande. Contre l’abominatio­n néo-libérale qui envahit les vitrines luxueuses de la rue du Dragon où l’on habite en souvenir nostalgiqu­e de Mao Zedong, El caviar unido jamas sera vencido.

Enfin, il est aisé de soumettre l’homme civilisé au test dit du Transsibér­ien, en se sonorisant avec les hymnes de Maurice Jarre accompagna­nt Omar Sharif et Julie Christie dans les inoubliabl­es steppes du Docteur Jivago. Si vous deviez passer une semaine en train au long d’isbas désolées et de bourgades enneigées, fussent-elles poutinienn­es, préférerie­z-vous partager le compartime­nt avec, par exemple, Éric Drouet des Gilets jaunes ou Patrick Balkany de LevalloisP­erret, ou en compagnie, mettons, de tel brillant professeur au Collège de France répandant des idées avancées depuis sa chaire inamovible, ou de telle capiteuse actrice parfumée par Guerlain et Pierre Rabhi ? Y a pas photo. Dans la guerre du goût, je demanderai­s volontiers l’Huso dauricus, originaire du fleuve Amour en Mandchouri­e, voire une bonne poutargue de Sanary. Mais plutôt dans une version interdite aux mineurs

… si Che Guevara combattait au ras du sol, la gauche caviar a découvert les agréments de l’aérostat autant que du parachute.

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Banc. Vus par Dusault, quelques individus de l’espèce d’esturgeon « Acipenser gueldensta­edtii », attablés dans l’un de leurs repaires parisiens favoris.

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