À quoi servent les sous-préfets à la relance ?
Ils disposent d’un budget de 100 milliards d’euros, mais d’une bien mince marge de manoeuvre…
Une porte s’ouvre sur un petit bureau trop bien rangé de la préfecture du Loiret, à Orléans. Au mur, il y a un tableau blanc sur lequel l’homme qui nous accueille a griffonné diverses tâches aux intitulés obscurs : « comitologie », « DTT », « CRPL », « reporting »… Il tend la main, puis, Covid-19 oblige, se ravise. Il s’appelle Simon Karleskind, il est grand et si fin que son costume agrémenté d’une cravate bleue et fleurie paraît presque trop ample. D’aucuns diraient qu’il a « le look d’un préfet». Pour cause, ce haut fonctionnaire de 27 printemps est l’un des 30 « sous-préfets à la relance ». Il a été nommé dans la région Centre-Val de Loire à la fin novembre 2020. Sa mission ? « Je suis un facilitateur du plan de relance déployé par le gouvernement. »
C’est l’un de ces agents qui ont entre les mains l’enveloppe des 100 milliards d’euros destinés à faire face à la crise économique engendrée par la pandémie. Une strate de plus dans le mammouth bureaucratique français, une ligne administrative supplémentaire. Comme si les quelque 5,5 millions de fonctionnaires – notamment ceux de l’Inspection générale des finances, qui sont chargés de surveiller le bon usage des deniers publics – ne suffisaient pas. « Les Français ne comprennent déjà rien à l’organisation de l’administration française, tout ça ne va pas les aider, peste Hervé Morin, président (Les Centristes) de la région Normandie. Un sous-préfet à la relance a été nommé chez moi ? Je n’ai jamais vu sa tête, je n’ai jamais entendu parler du monsieur. Il ne m’a même pas passé un coup de fil ! » À Vannes, dans le Morbihan, l’édile David Robo renchérit : « Quand un préfet prend ses fonctions, il nous appelle dans les quarante-huit heures. C’est l’usage républicain. J’attends encore un signe de vie. » Pire, ces fonctionnaires fraîchement nommés porteraient le sceau du jacobinisme déconnecté du terrain aux yeux des élus locaux. « Bien que les régions aient les compétences économiques, on se passe encore de nous. À l’inverse de ces sous-préfets qui arrivent sans forcément connaître le territoire, nous savons d’ores et déjà où investir l’enveloppe du plan de relance, qui accompagner et comment, persifle Loïg Chesnais-Girard, président socialiste de la région Bretagne. Nous sommes prêts à travailler main dans la main avec l’État. Alors, pourquoi se passe-t-il de nous si ce n’est pour des raisons politiques ? »
Nombre de patrons d’exécutifs locaux voient dans ces sous-préfets à la relance l’obsession d’Emmanuel Macron de les court-circuiter. À commencer par ceux, Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez en tête, qui seraient mus par l’envie d’affronter le chef de l’État à la prochaine élection présidentielle, en 2022 ? Au Point, en octobre 2020, Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, se défendait de toute tentation centralisatrice : « Ce n’est pas depuis des bureaux à Paris, à coups de tableaux de bord, qu’on va exécuter le plan de relance. C’est sur le terrain, dans les territoires, là où les Français vivent (…). Un sous-préfet, c’est un couteau suisse, c’est celui qui met tout le monde autour de la table, les entreprises comme les élus. » La critique agace jusque dans l’entourage de Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance : « Il y en a marre avec la dé
centralisation ! On a donné la main aux régions sur le deuxième volet du fonds de solidarité et ils n’en ont dépensé que 3%. Quelques petits milliers d’euros seulement. Ils sont parfois incapables de décaisser aussi vite que nous. » Sous-préfète dans la Creuse, Alice Mallick veut rassurer: «Nous ne remplaçons personne, nous sommes un moyen humain supplémentaire, en appui. »
Disséminés par « Paris » du Vaucluse à La Réunion, et nommés pour une mission de douze à vingt-quatre mois, ces technos arrivent la fleur au fusil. Et avec l’enthousiasme de la jeunesse : leur moyenne d’âge ne dépasse pas 30 ans. « On est venu apporter un vent de fraîcheur à la préfectorale ! » s’esclaffe l’un d’eux au téléphone, avant de se reprendre: « On est en off, hein ? Ça ne fait pas très “préfet” de blaguer comme ça. » Et d’insister sur le profil de ses acolytes : « Nous ne sommes pas tous d’affreux énarques, notre parcours dénote dans le paysage.» De fait, parmi les premiers sous-préfets qui sont entrés en fonction ce 1er janvier, on croise des fonctionnaires venus du corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts, d’autres de l’École nationale des services vétérinaires et de jeunes fonctionnaires tout droit sortis de masters en politiques publiques ou de Sciences Po. Il y a, en outre, des profils plus « politiques », comme Myriam Abassi, en Île-de-France, administratrice civile diplômée de l’École nationaled’administration(ENA,promotion Winston Churchill), ancienne colistière et directrice de campagne d’une candidate La République en marche aux dernières municipales.
Les recruter, le Premier ministre, Jean Castex, en a donné la consigne, comme l’explique un conseiller du gouvernement : « Si les candidats viennent de l’ENA, c’est bien, sinon mieux. L’idée, c’est d’envoyer des fonctionnaires de l’administration centrale loin de Paris pour agir sur le terrain, au plus près. » Dans une circulaire du 10 septembre 2020, le locataire de Matignon lance officiellement un appel à candidatures des hauts fonctionnaires tout juste sortis de hautes écoles de la fonction publique, à destination des ministres et des préfets. Mais Castex, qui veut faire écho au désir d’Emmanuel Macron d’en finir avec l’ENA, y précise
que les candidatures sont aussi ouvertes « aux fonctionnaires de catégorie A appartenant à un corps ou cadre d’emplois de niveau comparable ».
Ce vendredi, c’est le branle-bas de combat à la préfecture de Laval. « Les journalistes parisiens ne s’aventurent pas souvent jusqu’ici. La dernière fois, c’était pour le cluster mayennais », sourit le préfet, JeanFrancis Treffel. À son côté se tient la sous-préfète à la relance, Céline Broquin Lacombe. Elle aussi a été « un peu chahutée » par quelques élus locaux de la « vieille école ». « Je m’y attendais, admet-elle. Ce n’était pas des critiques contre moi: j’ai à prouver que cette fonction peut être utile. » L’ancienne inspectrice de santé publique vétérinaire de 29 ans a organisé pour notre venue la visite de la SPPP, une entreprise de son département spécialisée dans la peinture de pièces automobiles. Son dirigeant, Olivier Martina, veut embaucher, investit dans un nouvel atelier et espère obtenir une partie de l’enveloppe du plan de relance. « Je n’ai pas encore l’assurance d’avoir l’aide de l’État pour cet investissement : j’attends de voir. Je suis comme saint Thomas », explique celui qui est à la tête d’une société qui compte déjà 240 salariés. La jeune femme noircit consciencieusement son carnet Moleskine, notant « les blocages », «les lenteurs » et les « espérances » du chef d’entreprise. Elle promet de « faire remonter » pour faire « accélérer » les choses auprès du préfet puis du ministère d’Amélie de Montchalin.
Prêcher la bonne parole. Dans les faits, la marge de manoeuvre des sous-préfets à la relance est plus que mince. Leur nomination illustre surtout l’appétit macroniste de « garder la main sur les affaires » pour mieux prouver que les décisions prises « en haut » à Paris portent leurs fruits sur les territoires. « Les bornes pour les véhicules électriques, les projets de rénovation énergétique des bâtiments, les mesures de soutien à l’emploi des jeunes… C’est le gouvernement qui porte cela, pas la mairie du coin. Et c’est l’argent de l’État ! Les Français doivent le savoir», explique un conseiller de Bercy. À ces jeunes gouverneurs de l’ère du Covid-19 la mission de prêcher la bonne parole, celle d’un gouvernement « proche des territoires » et « à l’action ». « La communication est une grosse part de notre travail, il ne faut pas la sous-estimer. Notre mission est de montrer que la relance se déploie chez eux », reconnaît Simon Karleskind, qui compte organiser « des actions coups de poing » et, « pourquoi pas, prendre des encarts publicitaires sur les sachets de pain ou dans les journaux pour parler de la relance aux gens ». Et de conclure : « Le plan de relance, c’est comme un grand magasin de bricolage dont nous serions les gérants. » Encore faut-il ne pas se perdre dans les rayons
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Les Français ne comprennent déjà rien à l’organisation de l’administration française, tout ça ne va pas les aider.
Hervé Morin Président (Les Centristes) de la région Normandie À l’inverse de ces sous-préfets qui arrivent sans forcément connaître le territoire, nous savons d’ores et déjà où investir l’enveloppe du plan de relance, qui accompagner et comment.
Loïg Chesnais-Girard Président (PS) de la région Bretagne
Nombre de patrons d’exécutifs locaux voient dans ces technos l’obsession de Macron de les court-circuiter.