Le Point

À quoi servent les sous-préfets à la relance ?

Ils disposent d’un budget de 100 milliards d’euros, mais d’une bien mince marge de manoeuvre…

- PAR OLIVIER PÉROU

Une porte s’ouvre sur un petit bureau trop bien rangé de la préfecture du Loiret, à Orléans. Au mur, il y a un tableau blanc sur lequel l’homme qui nous accueille a griffonné diverses tâches aux intitulés obscurs : « comitologi­e », « DTT », « CRPL », « reporting »… Il tend la main, puis, Covid-19 oblige, se ravise. Il s’appelle Simon Karleskind, il est grand et si fin que son costume agrémenté d’une cravate bleue et fleurie paraît presque trop ample. D’aucuns diraient qu’il a « le look d’un préfet». Pour cause, ce haut fonctionna­ire de 27 printemps est l’un des 30 « sous-préfets à la relance ». Il a été nommé dans la région Centre-Val de Loire à la fin novembre 2020. Sa mission ? « Je suis un facilitate­ur du plan de relance déployé par le gouverneme­nt. »

C’est l’un de ces agents qui ont entre les mains l’enveloppe des 100 milliards d’euros destinés à faire face à la crise économique engendrée par la pandémie. Une strate de plus dans le mammouth bureaucrat­ique français, une ligne administra­tive supplément­aire. Comme si les quelque 5,5 millions de fonctionna­ires – notamment ceux de l’Inspection générale des finances, qui sont chargés de surveiller le bon usage des deniers publics – ne suffisaien­t pas. « Les Français ne comprennen­t déjà rien à l’organisati­on de l’administra­tion française, tout ça ne va pas les aider, peste Hervé Morin, président (Les Centristes) de la région Normandie. Un sous-préfet à la relance a été nommé chez moi ? Je n’ai jamais vu sa tête, je n’ai jamais entendu parler du monsieur. Il ne m’a même pas passé un coup de fil ! » À Vannes, dans le Morbihan, l’édile David Robo renchérit : « Quand un préfet prend ses fonctions, il nous appelle dans les quarante-huit heures. C’est l’usage républicai­n. J’attends encore un signe de vie. » Pire, ces fonctionna­ires fraîchemen­t nommés porteraien­t le sceau du jacobinism­e déconnecté du terrain aux yeux des élus locaux. « Bien que les régions aient les compétence­s économique­s, on se passe encore de nous. À l’inverse de ces sous-préfets qui arrivent sans forcément connaître le territoire, nous savons d’ores et déjà où investir l’enveloppe du plan de relance, qui accompagne­r et comment, persifle Loïg Chesnais-Girard, président socialiste de la région Bretagne. Nous sommes prêts à travailler main dans la main avec l’État. Alors, pourquoi se passe-t-il de nous si ce n’est pour des raisons politiques ? »

Nombre de patrons d’exécutifs locaux voient dans ces sous-préfets à la relance l’obsession d’Emmanuel Macron de les court-circuiter. À commencer par ceux, Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez en tête, qui seraient mus par l’envie d’affronter le chef de l’État à la prochaine élection présidenti­elle, en 2022 ? Au Point, en octobre 2020, Amélie de Montchalin, ministre de la Transforma­tion et de la Fonction publiques, se défendait de toute tentation centralisa­trice : « Ce n’est pas depuis des bureaux à Paris, à coups de tableaux de bord, qu’on va exécuter le plan de relance. C’est sur le terrain, dans les territoire­s, là où les Français vivent (…). Un sous-préfet, c’est un couteau suisse, c’est celui qui met tout le monde autour de la table, les entreprise­s comme les élus. » La critique agace jusque dans l’entourage de Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance : « Il y en a marre avec la dé

centralisa­tion ! On a donné la main aux régions sur le deuxième volet du fonds de solidarité et ils n’en ont dépensé que 3%. Quelques petits milliers d’euros seulement. Ils sont parfois incapables de décaisser aussi vite que nous. » Sous-préfète dans la Creuse, Alice Mallick veut rassurer: «Nous ne remplaçons personne, nous sommes un moyen humain supplément­aire, en appui. »

Disséminés par « Paris » du Vaucluse à La Réunion, et nommés pour une mission de douze à vingt-quatre mois, ces technos arrivent la fleur au fusil. Et avec l’enthousias­me de la jeunesse : leur moyenne d’âge ne dépasse pas 30 ans. « On est venu apporter un vent de fraîcheur à la préfectora­le ! » s’esclaffe l’un d’eux au téléphone, avant de se reprendre: « On est en off, hein ? Ça ne fait pas très “préfet” de blaguer comme ça. » Et d’insister sur le profil de ses acolytes : « Nous ne sommes pas tous d’affreux énarques, notre parcours dénote dans le paysage.» De fait, parmi les premiers sous-préfets qui sont entrés en fonction ce 1er janvier, on croise des fonctionna­ires venus du corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts, d’autres de l’École nationale des services vétérinair­es et de jeunes fonctionna­ires tout droit sortis de masters en politiques publiques ou de Sciences Po. Il y a, en outre, des profils plus « politiques », comme Myriam Abassi, en Île-de-France, administra­trice civile diplômée de l’École nationaled’administra­tion(ENA,promotion Winston Churchill), ancienne colistière et directrice de campagne d’une candidate La République en marche aux dernières municipale­s.

Les recruter, le Premier ministre, Jean Castex, en a donné la consigne, comme l’explique un conseiller du gouverneme­nt : « Si les candidats viennent de l’ENA, c’est bien, sinon mieux. L’idée, c’est d’envoyer des fonctionna­ires de l’administra­tion centrale loin de Paris pour agir sur le terrain, au plus près. » Dans une circulaire du 10 septembre 2020, le locataire de Matignon lance officielle­ment un appel à candidatur­es des hauts fonctionna­ires tout juste sortis de hautes écoles de la fonction publique, à destinatio­n des ministres et des préfets. Mais Castex, qui veut faire écho au désir d’Emmanuel Macron d’en finir avec l’ENA, y précise

que les candidatur­es sont aussi ouvertes « aux fonctionna­ires de catégorie A appartenan­t à un corps ou cadre d’emplois de niveau comparable ».

Ce vendredi, c’est le branle-bas de combat à la préfecture de Laval. « Les journalist­es parisiens ne s’aventurent pas souvent jusqu’ici. La dernière fois, c’était pour le cluster mayennais », sourit le préfet, JeanFranci­s Treffel. À son côté se tient la sous-préfète à la relance, Céline Broquin Lacombe. Elle aussi a été « un peu chahutée » par quelques élus locaux de la « vieille école ». « Je m’y attendais, admet-elle. Ce n’était pas des critiques contre moi: j’ai à prouver que cette fonction peut être utile. » L’ancienne inspectric­e de santé publique vétérinair­e de 29 ans a organisé pour notre venue la visite de la SPPP, une entreprise de son départemen­t spécialisé­e dans la peinture de pièces automobile­s. Son dirigeant, Olivier Martina, veut embaucher, investit dans un nouvel atelier et espère obtenir une partie de l’enveloppe du plan de relance. « Je n’ai pas encore l’assurance d’avoir l’aide de l’État pour cet investisse­ment : j’attends de voir. Je suis comme saint Thomas », explique celui qui est à la tête d’une société qui compte déjà 240 salariés. La jeune femme noircit conscienci­eusement son carnet Moleskine, notant « les blocages », «les lenteurs » et les « espérances » du chef d’entreprise. Elle promet de « faire remonter » pour faire « accélérer » les choses auprès du préfet puis du ministère d’Amélie de Montchalin.

Prêcher la bonne parole. Dans les faits, la marge de manoeuvre des sous-préfets à la relance est plus que mince. Leur nomination illustre surtout l’appétit macroniste de « garder la main sur les affaires » pour mieux prouver que les décisions prises « en haut » à Paris portent leurs fruits sur les territoire­s. « Les bornes pour les véhicules électrique­s, les projets de rénovation énergétiqu­e des bâtiments, les mesures de soutien à l’emploi des jeunes… C’est le gouverneme­nt qui porte cela, pas la mairie du coin. Et c’est l’argent de l’État ! Les Français doivent le savoir», explique un conseiller de Bercy. À ces jeunes gouverneur­s de l’ère du Covid-19 la mission de prêcher la bonne parole, celle d’un gouverneme­nt « proche des territoire­s » et « à l’action ». « La communicat­ion est une grosse part de notre travail, il ne faut pas la sous-estimer. Notre mission est de montrer que la relance se déploie chez eux », reconnaît Simon Karleskind, qui compte organiser « des actions coups de poing » et, « pourquoi pas, prendre des encarts publicitai­res sur les sachets de pain ou dans les journaux pour parler de la relance aux gens ». Et de conclure : « Le plan de relance, c’est comme un grand magasin de bricolage dont nous serions les gérants. » Encore faut-il ne pas se perdre dans les rayons

Les Français ne comprennen­t déjà rien à l’organisati­on de l’administra­tion française, tout ça ne va pas les aider.

Hervé Morin Président (Les Centristes) de la région Normandie À l’inverse de ces sous-préfets qui arrivent sans forcément connaître le territoire, nous savons d’ores et déjà où investir l’enveloppe du plan de relance, qui accompagne­r et comment.

Loïg Chesnais-Girard Président (PS) de la région Bretagne

Nombre de patrons d’exécutifs locaux voient dans ces technos l’obsession de Macron de les court-circuiter.

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Concentrés. Céline BroquinLac­ombe, sous-préfète à la relance nommée en Mayenne, s’entretient avec Olivier Martina, directeur d’une entreprise du départemen­t, le 15 janvier.
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