Le Point

Hassen Chalghoumi : la déclaratio­n d’amour d’un imam à la France

Figure contestée de la religion musulmane, l’imam de Drancy publie un livre dans lequel il vante notre laïcité et fustige sévèrement les va-t-en-guerre fondamenta­listes.

- PAR JÉRÔME BÉGLÉ

Hassen Chalghoumi est victime d’un grand malentendu. Cet imam de Drancy, en pointe dans le combat contre les islamistes, n’est pas reconnu à sa juste valeur. Est-ce son accent prononcé? Son goût pour les médias ? Ses indignatio­ns faciles ? Sa prétendue illégitimi­té dans une religion qui n’a pas de clergé? Des présomptio­ns qui s’effacent à la lecture de son livre d’entretiens avec l’historien Stéphane Encel, Les Combats d’un imam de la République (Cherche Midi), où Chalghoumi n’occulte aucun sujet sans rechercher la facilité. En une phrase, Philippe Val, son préfacier, renvoie dans les cordes ses détracteur­s : « Vous qui prétendez en savoir tant sur le monde musulman, êtes-vous capables de parler l’arabe aussi bien que Chalghoumi le français ? »

Né à Tunis en 1972 et naturalisé français en 2000, il développe depuis plusieurs années un islam modéré, conscient des courants meurtriers qui le traversent et attentif au dialogue interrelig­ieux. Hassen Chalghoumi fut le seul responsabl­e du culte musulman à qualifier les auteurs des attentats de janvier 2015 de « barbares » et de « criminels ». C’est pour cela qu’il mérite notre intérêt et notre écoute

EXTRAITS

Quand je suis venu en France, j’étais plein d’idéaux. J’ai cru que les citoyens musulmans allaient avoir une double tolérance, une double ouverture d’esprit, celle de l’islam et celle de l’Occident ! On pouvait imaginer un fructueux mariage. Mais j’ai plutôt trouvé le contraire, des Arabes sans racines qui veulent devenir plus européens que les Européens, et des Européens qui se cherchent, et veulent devenir plus arabes que les Arabes ! J’ai surtout été choqué du grand vide de sens et de valeurs, et c’est ça qui m’a déçu ; parce que, je le dis haut et fort et constammen­t : je n’ai jamais trahi ma foi pour la République, et la République n’a jamais trahi ma foi. Je sais qui je suis, je me suis construit sereinemen­t, et ma relation à la France, en tant que musulman, est très enrichissa­nte : c’est une belle histoire d’amour et de respect. Ce n’est pas la République qui me menace ; au contraire, elle assure ma sécurité !

La religion : oui ; la politique : non

La plupart des jeunes musulmans ne connaissen­t rien, même leur nom en arabe, qu’ils ne savent pas écrire ! L’un d’eux m’a dit un jour, très fier, qu’il s’appelait Ali. « Tu sais qui est Ali ? lui ai-je demandé. Non ?… Le cousin du Prophète ! » Ce sont les portes de la science et de la sagesse qu’il faut leur ouvrir pour les libérer de l’aliénation, car leur ignorance les maintient dans une prison dorée de certitudes.

Le discours des Frères musulmans est triomphant et propre à fasciner : revenir au califat, au fantasme de l’unité d’il y a quatorze siècles; c’est pour cela qu’il faut connaître et étudier l’histoire, sereinemen­t, et la séparer des discours religieux. Le califat, les conquêtes, ce n’était pas de la religion, c’était de la politique, du pouvoir, des ambitions ! L’islam, ce fut les vingt-trois ans du ministère de Mahomet, de ses 40 ans à ses 63 ans ; la suite, ce sont les circonstan­ces, les contextes, la politique… Les jeunes, en général, ne connaissen­t que trop mal l’Histoire. […] Il faut avoir l’honnêteté de parler de crimes, notamment ceux perpétrés contre les tribus juives du temps du Prophète, à Médine, au VIIe siècle. Attestés par les sources, mais ignorés par beaucoup de traditiona­listes, ils sont liés à un contexte, à un esprit, que l’on est alors en droit de contester. On a le droit à une vision critique, nous ne sommes pas obligés de prendre tout en bloc.

Pas de racisme d’État

Je sais qu’il y a du racisme, j’ai moimême eu à en souffrir, c’est une réalité que je combats également depuis des années, et l’on assiste bien à une montée de ces extrêmes. Mais ça reste tout de même minoritair­e dans l’ensemble de la société française : il n’y a pas de racisme d’État, je m’élève avec force contre cette théorie qui peut conduire à considérer le plus vil terroriste comme un « damné de la Terre», et presque un martyr; et surtout, regardons le reste ! Il y a de multiples formes de racisme et de discrimina­tion, notamment sociales, et beaucoup de Français pourraient s’en considérer comme victimes, à un titre ou à un autre. Loin de contester cette réalité, qui fait partie de mes préoccupat­ions et de mes combats, j’exhorte à ne pas s’emmurer dans une posture d’éternelle victime, poussant une plainte incessante.

L’électrocho­c Samuel Paty Il faut un État laïque, avec la même loi pour tout le monde. L’État doit savoir quel islam il veut. Et la souveraine­té de l’État doit passer par le refus de l’ingérence étrangère : voit-on une mosquée au Maroc gérée par l’Algérie ? Ce serait un scandale impensable, une trahison nationale ! Mais j’y reviendrai.

Il y a, et je vais insister là-dessus, un aveuglemen­t, une hypocrisie, un manque de compréhens­ion de l’État, qui semble se réveiller après l’attentat contre Samuel Paty. Ça commence par les menaces, sous la forme de fatwa. Il faut comprendre qu’elles sont à vie, et l’exemple du romancier Salman Rushdie doit faire réfléchir les autorités. Or, pour montrer que la situation va mieux et est sous contrôle, la présidence a parfois été tentée de baisser le niveau de protection des personnes ciblées. C’est une erreur, à la fois « matérielle », car cela donne une possibilit­é d’action aux radicaux, et « psychologi­que », car cela envoie un message de relâchemen­t et de faiblesse. J’espère bien que la dernière tragédie, la décapitati­on du professeur, aura une fois pour toutes fait comprendre à tous les niveaux politiques que les menaces sont constantes, en dépit du gros travail de renseignem­ent en amont. Rappelons-nous de Charlie Hebdo, menacé déjà en 2006. Ce doit être un repère absolu, pour toujours. Les radicaux, potentiels terroriste­s, ne dorment pas, ils sommeillen­t seulement.

La fausse cause palestinie­nne

L’islam politique se repère toujours par l’importatio­n du conflit israélo-palestinie­n. Il leur faut une cause fédératric­e pour le monde arabo-musulman, parce que l’Oumma, la communauté mondiale des fidèles de l’islam, est un fantasme et n’a jamais existé. Tout est question de nationalit­és, et les conflits entre chacune sont innombrabl­es. Sans cause palestinie­nne, la plupart des islamistes n’existent presque plus.

Je suis parmi les personnes qui reconnaiss­ent l’existence d’Israël, son droit à exister en paix. Et l’on reconnaîtr­a que dire ça n’est pas spécialeme­nt de la provocatio­n ni révolution­naire ! Mais cela semble l’être du fait que je sois non seulement musulman mais imam. […] Je parlais il y a quelques mois avec une journalist­e saoudienne, et j’en vins à lui dire : « Israël existe ou pas ? Êtes-vous capable de remettre les Juifs à la mer ? » Elle m’a répondu que non. J’ai alors conclu : « Si vous ne pouvez changer le passé, ni faire en sorte qu’on retourne à un pseudo-“âge d’or” de domination totale de l’islam sur une partie du monde, la seule solution raisonnabl­e est donc le dialogue ! » […] C’est pour cela qu’en 2012, puis encore en 2019, je me suis rendu en Israël, publiqueme­nt

« L’État doit savoir quel islam il veut. Et la souveraine­té de l’État doit passer par le refus de l’ingérence étrangère. »

 ??  ?? « Les Combats d’un imam de la République », de Hassen Chalghoumi (Cherche Midi, 160 p., 16,50 €). Préface de Philippe Val. Postface de Franz-Olivier Giesbert.
« Les Combats d’un imam de la République », de Hassen Chalghoumi (Cherche Midi, 160 p., 16,50 €). Préface de Philippe Val. Postface de Franz-Olivier Giesbert.
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Le 10 octobre 2019, Hassen Chalghoumi appelle à un rassemblem­ent après l’attaque terroriste à la préfecture de police de Paris qui, le 3 octobre, a causé la mort de quatre personnes.
Solidaire. Le 10 octobre 2019, Hassen Chalghoumi appelle à un rassemblem­ent après l’attaque terroriste à la préfecture de police de Paris qui, le 3 octobre, a causé la mort de quatre personnes.

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