Le Point

Roman (P. Besson) : une journée particuliè­re

Que se passe-t-il chez une mère le jour où son dernier enfant quitte le nid ? Elle vacille. Et Philippe Besson note tout.

- PAR SOPHIE PUJAS

«Son père n’avait pas confiance, et puis c’était le Kangoo du magasin; imagine si tu l’emboutis. De toute façon, ses cartons, une fois sur place, il n’allait pas les monter tout seul. Quatre étages sans ascenseur, il ne se rendait pas compte. À trois, ça irait plus vite, ça serait moins fatigant. Théo avait obtempéré. Pas tellement le choix. Sa mère avait poussé un soupir de soulagemen­t. C’est de cette manière que le drame s’était noué.» Tout est parti d’un souvenir de Philippe Besson. Celui de sa mère pleurant dans la voiture après l’avoir accompagné à Rouen, où il emménageai­t pour ses études. Cette image, racontée par son père, mais universell­e, ne l’a plus quitté. Jusqu’à donner, trois décennies plus tard, Le Dernier Enfant. Une mère voit le cadet de ses trois enfants quitter le nid. Elle travaille dans un supermarch­é, et doit bien l’avouer : « En fait, c’est tout bête, mes enfants m’ont rendue heureuse. » Reste donc à affronter la vie qui commence sans eux, à lui donner forme malgré tout… Et à dompter « ce chagrin phénoménal, brouillon, surgi comme un diable de sa boîte». Banal ? Pas sous la plume de Philippe Besson. L’écrivain

délaissa autrefois une carrière de DRH pour écrire des romans, qui lui valurent rapidement le succès. Une vingtaine, dont Son frère, adapté au cinéma par Patrice Chéreau en 2003, l’autobiogra­phique Arrête avec tes mensonges (qui a fait lui aussi l’objet d’une adaptation cinématogr­aphique, à sortir en salles) et un livre sur la campagne d’Emmanuel Macron, Un personnage de roman. L’écrivain a depuis pris ses distances avec le livre comme avec l’homme. Discrèteme­nt élégiaque, habile à ausculter les failles intimes, Philippe Besson montre ici les abîmes que peut ouvrir dans nos existences un événement d’apparence ordinaire. Et pas à pas, il suit son héroïne au cours de cette journée particuliè­re, des cartons faits le matin au retour dans la maison, qui semblera désormais toujours vide. Pour cette femme devenue mère à l’aube de la vingtaine, c’est aussi tout le passé qui revient et qui blesse, avec ses deuils jamais vraiment guéris. Besson questionne le rôle du hasard dans toute vie. Son héroïne frôle des gouffres imprévus – n’y a-t-il pas de la folie dans tout chagrin ? Son tour de force : composer par touches délicates un roman du presque rien et de l’infiniment déchirant. S’emparer du quotidien dans ce qu’il a de beau et de dérisoire. Un portrait de femme à la recherche du mystère de cet amour fou dont sont capables les mères

Le Dernier Enfant, de Philippe Besson (Julliard, 208 p., 19 €).

« Immanquabl­ement, elle est renvoyée à tous les matins qui ont précédé, ceux des balbutieme­nts et ceux de l’affirmatio­n, les matins d’école et les matins de grasse matinée, les matins d’hiver dans la lumière électrique et les matins d’été comme celui-ci, les matins malades et les matins en vacances, les pacifiques et ceux du mauvais pied, combien y en a-t-il eu, il serait facile d’établir le compte exact, mais elle a peur que le compte exact ne lui donne le vertige, tous ces matins, qu’il pleuve ou qu’il vente, elle était présente et c’est fini, ça s’arrête ici, ça s’arrête maintenant. » (Philippe Besson, « Le Dernier Enfant »)

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« Le Dernier Enfant » du chagrin maternel qu’il provoqua.
Un fils. Philippe Besson, écrivain des sentiments et des nuances, s’est souvenu dans « Le Dernier Enfant » du chagrin maternel qu’il provoqua.

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