Le Point

Roman : Le Corre et les âmes

Inceste et honte… Si noir et si beau, « Traverser la nuit ».

- PAR JULIE MALAURE

Son nouveau roman est, dit-il, « noir », parce qu’il n’a pas trouvé «d’autre teinte pour dépeindre notre monde». Noir, c’est la couleur de la nuit que traversent ses personnage­s : Jourdan, le flic brisé ; Louise, la femme battue ; Christian, l’employé du bâtiment que sa mère aime trop. C’est même une signature chez ce prof bordelais, devenu l’une des plus grandes plumes françaises du genre. Un genre dont il fait fi des codes, installant une narration ultralente, pour décortique­r des personnage­s vrais, qui se croisent peu, loin du suspense artificiel et des happy ends à l’américaine. On espère pourtant, tout au long de Traverser la nuit, que ça s’arrange pour eux.

Jourdan, le flic, a déserté sa vie personnell­e, gagnée par la noirceur de son quotidien. Les infanticid­es, les violences conjugales, l’odeur de la mort le hantent et l’amènent à flotter dans une zone grise entre coups de sang et coups de blues. Mais de quoi pourrait se plaindre cette âme désorienté­e en regard de celle, martyrisée, de Louise? Le Corre développe la mécanique infernale du silence et de la honte d’une femme sous l’emprise d’un pervers. La honte d’elle-même, « d’avoir supporté ça », « de ne valoir plus rien, de ne même pas mériter de vivre », la honte qui donne raison au bourreau de maltraiter Louise, si facile à « dominer et à manipuler ». Sa vie ne tient qu’à un fil, un fils, le sien, Sam, « petit magicien, seul capable d’enchanter» ses jours. Seulement, l’amour d’une mère pour son fils… Le romancier pousse le curseur à l’extrême, avec Christian, une âme noircie par l’inceste, qui, en guise de jardin secret, enterre des jeunes femmes mortes à cause de ses pulsions sous les plates-bandes de sa mère. Mais plus on lit ce Bordelais taciturne, plus on a envie d’aller chercher Christian au fond des enfers pour que ce ne soit pas foutu.

Hervé Le Corre, récompensé du prix Le Point du polar européen en 2014 pour Après la guerre, signe un nouveau bijou sur le désarroi contempora­in, où l’espérance nous retient, jusqu’à la dernière page ici, bouleversa­nte

Traverser la nuit, d’Hervé Le Corre (Rivages, 320 p., 20,90 €).

« Jourdan pourrait l’abattre maintenant. Il est venu pour ça. Il convoque les images des enfants allongés dans ce couloir, la vision de cette femme effondrée contre ce radiateur, […] le mélange instable que son cerveau avait fabriqué puis répandu en lui d’infinie tristesse et de rage profonde […]. » (Hervé Le Corre, « Traverser la nuit »)

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Hervé Le Corre.

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