La minute antique, par Christophe Ono-dit-Biot
« Tandis que Vénus m’inspire, jeunes beautés, prêtez l’oreille à mes leçons. La pudeur et les lois vous le permettent ; votre intérêt vous y invite. Songez dès à présent à la vieillesse qui viendra trop tôt. » Ovide, L’Art d’aimer : une invitation à savourer la vie tant qu’on est jeune… On en est loin ! Notre jeunesse se meurt, confinée dans une solitude et une précarité insoutenables. Il faut lire les trop nombreuses, hélas, publications sur le hashtag #EtudiantsFantomes, triste étendard sous lequel les jeunes de ce pays, caricaturés en digital natives qui n’auraient besoin que d’un écran pour vivre, publient, jour après jour, la chronique d’une année massacrée. Et une année, à leur âge, ça compte double, triple : on apprend, on s’émerveille, on s’éveille à l’autre, au monde, on devient l’adulte que l’on sera… Las ! Décrochage, petits boulots perdus, rangs des Restos du coeur grossis, jusqu’au suicide par défenestration, lourd de symbole après les injonctions gouvernementales à « aérer »… Tragique ironie : accusés d’être les propagateurs du virus, ces écervelés festifs, ces gamins mal élevés qui laissent traîner leurs bonbons « sur la table », comme le relève leur ministre Frédérique Vidal, alors qu’ils se sont sacrifiés pour sauver leurs aînés… Qui les sauvera, eux, et pas seulement du mur de la dette, avant qu’il soit trop tard pour écouter les conseils d’Ovide ? « Carpite florem / Qui, nisi carptus erit, turpiter ipse cadet » : « Cueillez la fleur / Qui, si elle n’a pas été cueillie, tombera seule hideusement »… ■