Montre : la Reverso, Jaeger-LeCoultre
La Reverso, modèle phare de la manufacture Jaeger-LeCoultre, fête ses 90 ans. Anatomie d’un succès renversant.
Tiré du latin « Je me retourne », la Reverso porte bien son nom. Un nom qui fait référence à la faculté principale du modèle – sa capacité à coulisser dans son support pour pivoter sur lui-même –, et, plus largement, à sa volonté de tordre le cou au monde d’hier si bien décrit par Stefan Zweig. Complice du nouveau culte de la vitesse, la montre, qui passe de la poche au poignet, devient, à l’époque, avec l’architecture et l’automobile, un territoire d’expression privilégié de la modernité. Le garde-temps, né en 1931, est aujourd’hui le symbole de l’élégance rétro, mais il fut en son temps le porte-étendard de l’avant-garde, incarnant le contraste entre le jeune et l’ancien, « la synthèse du style Art déco, qui se veut ludique, chic, glamour, amusant et jeune », note la grande plume de l’horlogerie Nicholas Foulkes.
Esthétiquement, la pièce s’inscrit dans la mouvance de l’Art déco en ce qu’elle privilégie le symétrique à l’asymétrique et le rectiligne au curviligne. Certains voient d’ailleurs dans la porte d’Orsay – point d’entrée de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, imaginée par l’architecte Louis-Hippolyte Boileau (on lui doit Le Bon Marché et le restaurant Prunier, à Paris) –, une source d’inspiration. La forme rectangulaire prend le contre-pied de la rondeur du cadran des montres de gousset, encore majoritaires. Un choix audacieux. « L’idée de porter une montre au poignet était contraire à toute notion de masculinité », note Hans Wilsdorf, pionnier de la tendance et fondateur de Rolex. Avec ses lignes tendues, la Reverso, conçue dès l’origine comme un modèle pour homme et pour femme, contribue à populariser le port de la montre au poignet. Mais le tour de force est d’avoir produit un modèle dont la forme suit la double fonction d’accompagner la gentry à la ville comme au sport.
La paternité du concept revient à l’homme d’affaires César de Trey, qui, en 1930, lors d’un voyage en Inde, assiste à un match de polo. Il constate que les garde-temps que les jeunes sportifs portent au poignet font souvent partie des victimes, mettant en lumière leur incompatibilité avec la rigueur d’une vie athlétique. Un des amis de ce passionné d’horlogerie lui demande s’il serait envisageable de retourner le composant extérieur le plus fragile : le verre. L’idée germe mais ne se concrétise qu’après la rencontre de César de Trey avec le Français Edmond Jaeger, fabricant réputé d’instruments destinés à l’aviation. Ce dernier approche l’horloger suisse Antoine LeCoultre. Ensemble, ils imaginent le système de pivot de la Reverso. C’est le début d’une fructueuse collaboration qui permet à la maison de se distinguer en produisant elle-même l’intégralité des composants du mécanisme comme du boîtier sous un même toit – un fait rare qui fera vite des émules. Quatre-vingt-dix ans après avoir vu le jour, la Reverso n’est plus une montre d’avant-garde, mais une montre culte. Lancée en édition limitée avec un cadran bordeaux (au recto) et un boîtier en or rose, la Reverso Tribute Duoface Fagliano rend hommage à un design d’une longévité exceptionnelle. Les icônes ne meurent jamais ■