Macron refait la déco ! par Sébastien Le Fol
Le 1er janvier, comme de coutume, deux promotions civiles de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite ont été publiées. Parmi les 3 884 Français décorés, 63 % l’ont été « au titre de leur engagement dans la lutte contre la Covid-19 ». C’était le souhait du président de la République. Toutes ces personnes l’ont bien mérité. Ces promotions, même exceptionnelles, nous éclairent sur l’organisation sociale française. Elles consacrent des usages, des préséances et des codes. Elles sont éloquentes sur la force des corporatismes, le poids des grands corps et la puissance des réseaux dans notre organisation politique et sociale. La Légion d’honneur exprime enfin la vision nationale du courage et du mérite. Emmanuel Macron souhaite distinguer des Français exceptionnels, qui ne s’inscrivent dans aucun tableau d’avancement. Mais il devrait faire preuve de plus d’audace. Le mérite, dans notre pays, ne saurait être le quasimonopole de la sphère étatique et des diplômés des grandes écoles. Que le président ouvre davantage les prochaines promotions aux intrépides qui cherchent, tâtonnent, entreprennent, innovent, facilitent. Aux briseurs de codes et de monopoles. Aux mécaniciens de la salle des machines. Aux outsiders, de préférence aux insiders. À commencer par les entrepreneurs. Si une société fonctionne, c’est bien grâce à leur « folie individuelle », selon la démonstration de Nassim Nicholas Taleb, l’auteur d’Antifragile, qui ferait un éclatant grand chancelier de la Légion d’honneur.
On devrait être distingué pour ses réussites mais aussi pour ses échecs. Ces derniers sont féconds pour la société tout entière.
Les chercheurs échouent. Les champions échouent. Les grands innovateurs échouent. Les artistes échouent. Notre pays doit apprendre collectivement et individuellement à « échouer mieux », selon l’expression de Samuel Beckett.
« Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux » : tous ceux dont le rôle est d’éduquer, de recruter et de distinguer devraient avoir cette devise beckettienne en tête.
La pandémie nous oblige à modifier notre échelle du mérite, à briser nos plafonds de verre. Napoléon avait créé la Légion d’honneur pour faire émerger une nouvelle élite. On attend du président de la République qu’il fasse valser les médailles. On saura alors s’il veut vraiment en finir avec la France des statuts
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