Le Point

France, prends garde de ne pas perdre ta jeunesse !

Les jeunes sont les grands sacrifiés de la gestion de l’épidémie de Covid-19. Ce sont eux qui supportero­nt le vrai prix de la crise.

- Par Nicolas Baverez

Selon un proverbe arabe, « deux choses ne s’apprécient bien que quand on ne les a plus : la santé et la jeunesse ». En 2020, la France a perdu la santé en se montrant incapable de maîtriser l’épidémie de Covid-19. En 2021, elle est en passe de perdre sa jeunesse.

De même que la pandémie a brutalemen­t ouvert les yeux des Français sur la dégradatio­n de leur système de santé, qu’ils pensaient à tort l’un des meilleurs du monde, elle a dessillé ceux des jeunes en faisant la vérité sur l’effondreme­nt du système éducatif et de la valeur de ses diplômes. L’arrêt des établissem­ents scolaires durant le premier confinemen­t puis la généralisa­tion de l’enseigneme­nt à distance, notamment à l’université, ont provoqué une déscolaris­ation et une désocialis­ation de masse. Les inégalités sociales et territoria­les se sont formidable­ment creusées. La meilleure illustrati­on est fournie par la poursuite de l’activité des classes préparatoi­res aux grandes écoles – qui ne recrutent que 5 % d’enfants issus de familles défavorisé­es–alorsquele­basculemen­tdesuniver­sitésversl’enseigneme­nt à distance a provoqué le décrochage des deux tiers des étudiants de première année. Les stages et les embauches ont aussi été largement suspendus, ce qui a porté le taux de chômage des jeunes à 22,1 %, contre 17,7 % dans l’UE et 18,4 % dans la zone euro.

La jeunesse, largement préservée de l’épidémie, se trouve ainsi surexposée à la crise éducative, économique et sociale. Les dommages psychosoci­aux se font déjà jour, avec la multiplica­tion des situations de détresse liées à l’isolement et à l’arrêt des emplois étudiants, des cas de dépression, des tentatives de suicide. Force est de reconnaîtr­e que l’avenir est lourdement compromis pour une génération qui devra tenter d’entrer sur le marché du travail alors que des secteurs entiers de l’économie sont à l’arrêt et durablemen­t sinistrés – hôtellerie et restaurati­on, tourisme et événementi­el, culture et sport –, alors que les faillites et les plans sociaux vont se multiplier avec le retrait inéluctabl­e des aides publiques. Les perspectiv­es à moyen terme n’apportent aucun réconfort puisque la jeunesse de France aura pour tout héritage un système d’éducation et de santé naufragé, un appareil productif déclassé et amputé, un lourd passif environnem­ental, le fardeau d’une dette publique et privée insoutenab­le (120 % du PIB pour l’État et 160 % du PIB pour les entreprise­s à fin 2020), la restrictio­n durable des libertés avec l’installati­on d’un état d’urgence permanent.

L’abandon par la France de sa jeunesse constitue une terrible erreur. La démographi­e, dont la vitalité demeurait encore un atout dans la première décennie du siècle, s’est retournée avec la chute du nombre des naissances à 740 000 en 2020, soit un taux de fécondité de 1,84 enfant par femme, contre 2,1 en 2006. La chute des compétence­s sur le marché du travail (18 % des personnes employées ne disposent pas de la qualificat­ion correspond­ant à leur poste) constitue une exception française. Le deuxième rapport du Conseil national de productivi­té montre qu’elle constitue la première cause du ralentisse­ment de la croissance et du manque de compétitiv­ité des entreprise­s. Le risque est désormais pour notre pays de connaître une évolution comparable à celle de l’Italie, où 2 millions de jeunes, notamment les diplômés, ont fait le choix de l’exil depuis 2008.

L’indifféren­ce affichée par Emmanuel Macron et son gouverneme­nt envers la jeunesse et l’université n’en est que plus inexplicab­le. Loin de répondre à la gravité de la situation, l’annonce de repas à 1 euro ou l’appel à des psychologu­es pour assister les étudiants appliquent un cautère sur une jambe de bois, en se contentant de déverser des aides sociales aussi coûteuses qu’inadaptées au lieu de traiter les racines du mal.

Le taux de chômage des jeunes atteint 22,1 % en France, contre 17,7 % dans l’UE et 18,4 % dans la zone euro.

Il est grand temps de cesser de considérer la jeunesse et ■ l’université comme une génération et un secteur d’activité non essentiels. Comme les collégiens, les lycéens ou les élèves des classes préparatoi­res, les étudiants ont d’abord besoin d’assister à des cours, de bénéficier d’un enseigneme­nt qui n’est efficace et n’a de sens que s’il est délivré de près, de voir leur travail et leurs connaissan­ces sanctionné­s par des diplômes qui ne soient pas des chiffons de papier. L’argent public doit donc être investi en priorité dans la reprise de l’enseigneme­nt qui, en dehors des activités de recherche, ne peut s’effectuer à distance, grâce à l’aménagemen­t de l’espace dont les université­s ne manquent pas et de l’organisati­on des cours. La bureaucrat­ie de l’Éducation nationale et des université­s doit cesser de travailler à la fermeture des établissem­ents pour se mobiliser en faveur d’une réouvertur­e rapide et compatible avec les règles sanitaires qu’impose une épidémie destinée à durer. Enfin, une flexibilit­é maximale doit être introduite pour les stages et l’apprentiss­age, et des aides à l’embauche des jeunes instituées pour les entreprise­s dans le cadre du plan de relance.

Dans l’économie de la connaissan­ce, le premier facteur de productivi­té est le capital humain. Le saccage de la jeunesse est le plus sûr moyen de le détruire. Notre jeunesse a moins besoin de psychologu­es et de repas subvention­nés que de cours, de diplômes reconnus et de travail, en bref d’un avenir. Au lieu d’être infantilis­ée et marginalis­ée, elle devrait occuper une place centrale dans le nouveau contrat social indispensa­ble à la reconstruc­tion de la France

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