Le Point

Les éditoriaux de Pierre-Antoine Delhommais, Nicolas Baverez, Luc de Barochez

L’État s’oppose au rachat de Carrefour par un concurrent canadien, mais se réjouit que ses emprunts soient souscrits par des investisse­urs étrangers…

- par Pierre-Antoine Delhommais

Il yaaum oins une chose que l’État sait parfaiteme­nt gérer, avec prévoyance, habileté et une logistique sans faille, c’est sa dette. Laquelle, il est vrai, ne connaît aucun sou cid’ approvisio­nnement et est à l’abri d’une rupture de stock. Quarante-sept années consécutiv­es de déficit lui ont permis d’acquérir un très grand savoir-faire pour emprunter au meilleur moment et au moindre coût. Une nouvelle preuve en a été fournie il y a quelques jours avec l’émission de 7 milliards d’euros d’OAT (obligation­s assimilabl­es du Trésor) d’une durée exceptionn­elle, puisqu’elles seront remboursée­s dans plus de cinquante ans – le 25 mai 2072 pour être précis. Le taux incroyable­ment bas de 0,59 % consenti par les prêteurs témoigne de leur confiance dans la solvabilit­é à long terme de la France, donc de leur confiance dans l’aptitude des futurs gouverneme­nts à augmenter les impôts pour honorer la dette.

Cet emprunt à cinquante ans vient en tout cas très concrèteme­nt rappeler à tous ceux, nombreux, qui en doutent encore, que nos enfants et petits-enfants auront bien à payer la facture du « quoi qu’il en coûte ». Tous les professeur­s devraient d’ailleurs, en cours d’éducation civique, expliquer à leurs élèves combien il serait judicieux de leur part de mettre d’ores et déjà un peu d’argent de poche de côté en vue de rembourser, tout au long de leur vie, les montants astronomiq­ues actuelleme­nt empruntés.

« Nous allons vivre pendant dix ans au moins avec une dette publique supérieure à 100 % du PIB », a prévenu le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. Des propos qui peuvent sembler alarmistes mais qui sont en réalité très optimistes lorsqu’on connaît l’impuissanc­e congénital­e de l’État français à assainir ses finances. Il est encore trop tôt pour savoir si, comme le prédisait Malraux, le XXIe siècle sera religieux, mais il ne fait plus aucun doute qu’il sera endetté.

Le lancement d’OAT à cinquante ans vient acter de façon symbolique les décennies de surendette­ment public auxquelles le pays doit se préparer et dont la pandémie ne sera que dans une très faible mesure responsabl­e. Il suffit de rappeler que la dette de la France se situait à 98,1 % du PIB fin 2019, contre 59,6 % en Allemagne, pour comprendre que nos finances publiques étaient subclaquan­tes avant même l’arrivée du Covid-19.

James Carville, ancien conseiller politique de Bill Clinton, a un jour confié : « Je m’étais longtemps dit que si la réincarnat­ion existait, j’aimerais revenir en tant que président, pape ou champion de base-ball, mais, maintenant, je voudrais être réincarné en marché obligatair­e : on peut faire peur à tout le monde. » Il avait été traumatisé par le krach, en 1994, des emprunts d’État américains provoqué par des craintes d’inflation. Il s’était ensuivi une envolée des taux d’intérêt à long terme qui avait plongé l’économie en récession et fait souffler un vent de panique à la Maison-Blanche.

Nos finances publiques étaient subclaquan­tes avant même l’arrivée du Covid-19.

En trente ans, le pouvoir d’intimidati­on du marché obligatair­e, des prêteurs, s’est encore considérab­lement renforcé du fait de la hausse vertigineu­se de la dette des États, qui frôle désormais, au niveau mondial, les 80 000 milliards de dollars – celle de la France étant passée de 350 milliards d’euros en 1990 à plus de 2 700 milliards d’euros aujourd’hui.

C’est au nom de la souveraine­té alimentair­e et de la défense des intérêts stratégiqu­es de la nation que le projet de rachat de Carrefour par le canadien Couche-Tard s’est vu opposer une fin de non-recevoir par Bruno Le Maire, qui en revanche s’est réjoui du succès rencontré par les OAT à cinquante ans. Ce qui est pour le moins paradoxal lorsqu’on sait que celles-ci ont été aux trois quarts souscrites par des investisse­urs étrangers : le ministre de l’Économie est visiblemen­t moins regardant sur la nationalit­é de ceux qui achètent nos emprunts d’État que sur celle de ceux qui souhaitent acquérir nos supermarch­és.

Pourtant, rien aujourd’hui ne menace plus la souveraine­té de la France et ses intérêts stratégiqu­es que son niveau record d’endettemen­t, qui fait entièremen­t dépendre son sort économique du bon vouloir des fonds de pension américains, des assureurs allemands, des traders britanniqu­es, du bon vouloir, aussi, des 25 membres du conseil des gouverneur­s de la BCE. Sans la bienveilla­nce dont tous font preuve en ce moment, l’État français serait dans l’incapacité de payer un seul euro de salaire aux infirmière­s des hôpitaux. Mais qu’on se rassure, même s’il fait faillite, il veillera certaineme­nt à ce que les rayons des supermarch­és soient approvisio­nnés en spaghettis et en papier toilette

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Sur la piste du plagistus gigantis.

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