Ça bouillonne (enfin) à gauche !
Nouveaux élus, nouveaux penseurs et nouvelles organisations redonnent espoir à une famille politique divisée et en plein questionnement.
On la croyait en sursis et vouée à disparaître, mais la gauche française bouge encore, subrepticement. Renaissance d’un phénix, ou errance d’un fantôme entre deux mondes? Malgré son naufrage à la présidentielle, malgré son échec aux européennes, malgré sa quasi-disparition de l’Assemblée nationale, la gauche de gouvernement, vampirisée par Emmanuel Macron en 2017, se surprend à rêver d’un retour au coeur du jeu électoral et intellectuel. Certes, cet espoir peut sembler ambitieux au regard du degré de convalescence du malade et des dernières enquêtes d’opinion (voir page suivante), mais quelques signaux faibles donnent aux optimistes de gauche de bonnes raisons d’y croire. À commencer par la résilience des candidats socialistes lors des dernières municipales. De grandes villes traditionnellement acquises à la gauche, comme Nantes (Johanna Rolland) ou Rennes (Nathalie Appéré), n’ont pas vacillé. Le Parti socialiste s’est même payé le luxe de reprendre Montpellier (Michaël Delafosse) et d’arracher à la droite un de ses bastions historiques avec Nancy (Mathieu Klein). Cette nouvelle génération de jeunes élus de 45 ans et moins redonnera peut-être un peu de sève au vieux parti à la rose, encore abasourdi par la vague dégagiste qui a porté la « start-up nation » d’Emmanuel Macron au pouvoir.
Si la gauche veut se remettre en selle pour la présidentielle, il lui faudra sans doute clarifier sa ligne et s’affirmer sans frémir. «On ne peut remporter une élection que lorsqu’on énonce clairement ses valeurs », explique Michaël Delafosse, maire (PS) de Montpellier, qui rappelle avoir remporté la ville après une campagne en faveur d’une ville « solidaire, écologiste, laïque et innovante ». S’affirmer, au risque de froisser la frange la plus libertaire de son électorat ? « La gauche se doit d’être très au clair avec les questions d’autorité, de respect des règles et de lutte contre les incivilités, détaille la nouvelle étoile montante du PS. C’est important car ce sont toujours les classes populaires qui sont davantage touchées par ces problèmes », estime l’ancien professeur d’histoire-géographie.
« La place de l’écologie, l’attractivité des valeurs républicaines et la sécurité sont des questions fondamentales », confirme Mathieu Klein, maire de Nancy, qui appartient lui aussi à cette nouvelle génération de jeunes élus du PS. Il confirme une dynamique générationnelle de nouveaux élus, qu’ils soient maires ou conseillers municipaux. « Nous avons rapidement pris l’habitude de travailler entre nous. On se parle via des réseaux informels, sur des boucles. Nous avons envie que notre famille politique soit représentée lors des prochaines échéances électorales… estampillée PS ou pas. »
Il faut être franc : personne n’attend plus du PS qu’il joue un rôle moteur à la présidentielle, au contraire. « Les gens veulent nous voir morts », confesse un proche d’Olivier Faure, le patron du parti. Un ancien ministre de François Hollande, bien que toujours adhérent du PS, décrit même son parti comme « un quant-à-soi et un microcosme complètement coupé des réalités. Politiquement, le PS n’est plus rien ». Si l’organisation d’une primaire reste prévue dans les statuts du parti pour départager les candidats, beaucoup ont en tête le naufrage qui a suivi la désignation de Benoît Hamon en 2017, tout
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« La place de l’écologie, les valeurs républicaines et la sécurité sont des questions fondamentales. » Mathieu Klein, maire de Nancy
comme le succès d’Emmanuel Macron, élu sans le soutien d’un parti établi et en dehors de tout processus de désignation préalable. Ce discrédit des partis politiques oblige les prétendants de gauche à la présidentielle à mener une précampagne en dehors de tout cadre clairement défini. La gauche a bien conscience qu’elle ne peut partir au combat éparpillée, mais personne ne sait comment seront départagés les candidats déjà déclarés ou pas que sont Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo ou Arnaud Montebourg… Ce dernier s’est d’ailleurs lancé dans un tour de France sur le thème de la souveraineté et cherche à instaurer un axe transpartisan en dialoguant avec des personnalités de droite comme Christian Estrosi (maire de Nice), David Lisnard (maire de Cannes), ou encore Xavier Bertrand (président de la région des Hauts-de-France). Il faudra aussi peut-être compter sur la persévérance de Benoît Hamon, dont le livre Ce qu’il faut de courage (Équateurs) a déjà été réimprimé à trois reprises. Anne Hidalgo a quant à elle démontré lors des municipales qu’il existe bel et bien un chemin pour intégrer l’écologie à la pensée de la gauche (et non l’inverse). Le mauvais score des écolos parisiens aux municipales, en regard de leurs succès aux européennes, laisse espérer aux socialistes qu’ils peuvent faire de l’écologie… sans les écolos.
Siphonnage. « Anne Hidalgo a adouci et intégré des thèmes écologistes à son identité politique. Un peu comme Nicolas Sarkozy avait siphonné quelques marqueurs du Front national en 2012 pour séduire les classes populaires », explique le politologue Jérôme Fourquet. Si elle confirmait l’été prochain son ambition présidentielle, la « reine des bobos », comme la surnomment toujours ses adversaires, ne risquerait-elle pas de devenir l’incarnation de la France des villes contre la France des campagnes ? « Son potentiel dépasse largement l’électorat des centres urbains. Elle est ancienne inspectrice du travail, fille d’immigrés élevée à la cité de la Duchère à Lyon… Elle peut parler aux enseignants et aux retraités, à la France du soin et de la petite fonction publique, très présente dans les petites villes », conclut Jérôme Fourquet. L’intéressée, consciente de l’écueil qui la guette et créditée pour l’instant d’un petit 6 % dans les intentions de vote, planche, pour lisser cette image trop parisienne, sur des déplacements dans tout le territoire, de Nancy à Rouen – autre ville conservée en juin par le PS grâce à un élu de la jeune garde, Nicolas Mayer-Rossignol, 43 ans. Elle ne rate d’ailleurs pas une occasion d’envoyer des messages subliminaux pour dénoncer l’absurdité du centralisme à la française, jugé si sévèrement par les élus de terrain.
La gauche est encore capable de susciter des surprises. Marseille, si elle est revenue d’entre les morts, « c’est grâce au poulet et à l’amour », s’enflamme Olivia Fortin, présidente de Mad Mars, le collectif citoyen qui a oeuvré au rassemblement local des forces de gauche. « Inspirés par le film Le Festin de Babette, nous avons organisé des “dîners poulet”. Le principe : un poulet rôti, des patates, une bouteille de rouge et des responsables politiques avec les
quels nous voulions travailler pour créer du commun autour d’un bon repas », explique celle qui est devenue adjointe chargée de la modernisation de l’action publique. « L’idée était de mettre de côté les logos et les egos. Nous arrivions avec un regard neuf, sans a priori ni esprit de revanche. C’était une force », analyse-t-elle avec le recul. Le rassemblement politique est aujourd’hui davantage porté par des « collectifs citoyens » que par les partis, qui redoutent de disparaître s’ils renoncent à présenter un candidat sous leurs couleurs. Dans cet esprit, la candidature annoncée de Jean-Luc Mélenchon pourrait bien constituer un obstacle au rassemblement à gauche.
«Écologie républicaine» . Mais c’est peut-être sur le plan des idées que les choses bougent le plus vite: on observe depuis quelques mois un foisonnement éditorial et intellectuel, porté par une nouvelle génération de penseurs encore peu connus du grand public. Think tanks, revues, plateformes d’idées, groupes plus ou moins formels essaiment dans toute la gauche, en dehors des partis et syndicats. « La gauche considérait qu’elle avait gagné l’hégémonie culturelle, mais elle avait arrêté de penser depuis 2017. Nous sommes clairement entrés dans un moment où elle réfléchit à nouveau », explique Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès et auteur en février 2020 d’Éloge de la défaite, avec Laurent-David Samama (Éditions de l’Aube). Cette phase de réflexion, un classique préélectoral, fait émerger de nouveaux intellectuels « qui font preuve d’une grande créativité pour sortir du classicisme. C’est la fin des allégeances aux figures tutélaires », note-t-il. Jeune politologue associée à la Fondation Jean-Jaurès, Chloé Morin (ex-conseillère de Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls) s’est fait remarquer ces dernières semaines avec son ouvrage Les Inamovibles de la République (Éditions de l’Aube), dans lequel elle décrit la puissance de la bureaucratie dans la décision publique. David Djaïz, tout juste 30 ans, fait lui aussi partie de cette génération de nouveaux penseurs de gauche qui n’ont pas peur de brusquer leurs aînés. Défendant l’idée que la gauche doit se réapproprier l’idée de nation, cet enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris et auteur du remarqué Slow Démocratie (Allary Éditions) estime que « la tradition républicaine et la tradition écologiste doivent désormais s’hybrider. L’écologie républicaine a un potentiel majoritaire en France, mais elle n’existe pas encore dans le champ politique ». Voilà deux ans qu’il navigue dans des groupes informels de jeunes intellectuels préoccupés par les enjeux environnementaux. « Des gens qui n’ont peur ni du nucléaire ni de l’État », affirme-t-il. Avec une dizaine de jeunes issus de toutes les sensibilités de la gauche, il lance l’appel « Pour une République écologique » (publié sur le site du Point ce 28 janvier), dans lequel les signataires revendiquent l’idée que « seul un cadre républicain fort permettra d’accomplir l’immense transformation écologique qui s’impose à nous et au monde ». « C’est ainsi que notre pays retrouvera sa concorde et sa joie de vivre autour d’un projet qui le fédère », avancent-ils, espérant faire émerger un camp écolorépublicain.
Cette « écologie républicaine » peut-elle constituer un projet rassembleur pour la gauche ? « Nous ne croyons pas à la victoire d’un camp ou d’un candidat qui n’aura pas pris le temps de repenser une ligne claire pour la décennie qui vient », explique Baptiste Fournier, cosignataire de l’appel et ancien directeur de campagne de Cédric Villani. « Ce texte doit constituer la base d’une doctrine. Nous n’attendrons pas que le PS ou un autre parti sorte un hypothétique programme pour énoncer ce que nous souhaitons pour notre génération. Leurs passifs les en empêchent », cingle-t-il. « Nous sommes des écolos jacobins », résume – un peu sous la contrainte – Lenny Benbara, cofondateur du site Le vent se lève. Ce jeune analyste politique a publié un texte marquant intitulé « Pour un patriotisme vert » et participe activement aux réseaux intellectuels qui veulent mettre la gauche face aux préoccupations de l’époque. Il travaille avec l’Institut Rousseau fondé par Chloé Ridel, avec le think tank Hémisphère gauche présidé par Alexandre Ouizille, ou encore avec la revue Germinal lancée en octobre 2020. « Notre génération partage ce constat : rien ne nous intéresse parmi les forces politiques existantes, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux », explique-t-il. Il ne leur reste plus qu’à agir ■
« Le potentiel d’Anne Hidalgo dépasse largement l’électorat des centres urbains. »
Jérôme Fourquet, politologue