Le Point

Spectacle : Basil Twist, le seigneur des marionnett­es

Les Détraqueur­s dans la saga Harry Potter, c’est lui ! À 51 ans, Basil Twist enchante les scènes du monde entier, dont celle de l’Opéra-Comique, à Paris.

- PAR FLORENCE COLOMBANI

S’il est un art dépourvu de stars, un art oublié et méconnu, c’est bien celui-là. « La tradition veut que le marionnett­iste reste dans l’ombre, rappelle Basil Twist, et puis les marionnett­es ne sont pas spécialeme­nt à la mode à notre époque ! » Et pourtant, c’est bien pour son art incomparab­le de la marionnett­e – qu’il fabrique dans son atelier new-yorkais et manipule souvent lui-même – que le natif de San Francisco est, ces temps-ci, en pleine lumière. Coqueluche du théâtre américain, aussi à l’aise dans l’univers de la musique classique que dans le monde de Harry Potter, il signe en effet son premier spectacle parisien, la mise en scène d’un joyau baroque dirigé par William Christie, Titon et l’Aurore.

Une consécrati­on logique pour celui dont les débuts fracassant­s, en 1998, dans une salle minuscule de Manhattan, avaient pour bande sonore la Symphonie fantastiqu­e de Berlioz. Le spectacle, qui enthousias­me alors la presse et le public, propose une sorte de ballet abstrait en harmonie avec la musique : les marionnett­istes manipulent des rubans pailletés dans un aquarium. Le résultat (visible sur YouTube) est hypnotique et somptueux. C’est le démarrage d’une carrière éclectique. On croyait la marionnett­e réservée au spectacle pour enfants ou pis, plaisante-t-il, «domaine des gens bizarres et des désaxés » ? On se trompait ! Twist est sur tous les fronts: la grande musique toujours – il livre un Sacre du printemps mémorable –, mais aussi Broadway (il anime une comédie musicale d’après La Famille Addams) et même Hollywood.

En 2003, Alfonso Cuarón, qui n’est pas encore l’auteur célébré de Gravity (2013) et Roma (2018), fait en effet appel à lui pour concevoir les Détraqueur­s, les personnage­s terrifiant­s qui gardent la prison d’Azkaban dans Harry Potter. La portée métaphoriq­ue de ces créatures est essentiell­e : comme des idées noires, elles aspirent tout le désir de vivre de leurs victimes et les plongent

dans la dépression. Avant de recourir aux inévitable­s images de synthèse, Cuarón veut passer par « du concret, du charnel » et pense aux marionnett­es. Basil Twist crée des Détraqueur­s-marionnett­es en soie noire qui seront ensuite répliqués à l’infini sur ordinateur.

« La force de la marionnett­e, explique Twist, c’est son étrangeté, à la frontière entre le vivant et le mort, l’animé et l’inanimé. C’est au fond assez facile de faire peur avec des marionnett­es ! » On l’imagine dans son atelier new-yorkais un peu comme le John Cusack de Dans la tête de John Malkovich (1999), un grand enfant entouré de créatures d’une inquiétant­e étrangeté. « On me parle souvent de la dimension fantastiqu­e, dérangeant­e, il y a un rapport avec les films d’horreur en noir et blanc des années 1930 que j’aime beaucoup, une forme de terreur, reconnaît l’artiste. J’ai aimé travailler sur Titon et l’Aurore parce que justement c’était autre chose : un univers mythologiq­ue, où il fallait marquer l’enchanteme­nt. »

Dans la ville de Rimbaud. Quand le rideau d’argent se lève sur Titon et l’Aurore (une oeuvre oubliée du compositeu­r baroque Mondonvill­e), toute une campagne enchantée s’anime sous nos yeux. Des statues d’argile s’adonnent à de voluptueux ébats, un troupeau de moutons aux toisons chatoyante­s cavalcade dans les prés, Éole, le dieu des vents, s’avance, entouré d’une nuée soyeuse… La féerie mâtine d’un glamour très années 1980 la pastorale du XVIIIe siècle. D’où la féerie de lumière, la touche d’exubérance qui évoquent ce monde de la nuit new-yorkais que Basil Twist a beaucoup fréquenté : « Amour est vêtu d’argent, Aurore est toute dorée, je voulais des costumes qui captent la lumière. Et même sur les moutons j’ai déposé quelques paillettes… »

Travailler en France est une joie particuliè­re pour cet artiste qui ne manque jamais une occasion de rendre hommage à l’institutio­n qui l’a formé, l’École nationale supérieure des arts de la marionnett­e de Charlevill­e-Mézières, célèbre dans le monde entier pour qui s’intéresse à cette discipline. Un lieu d’exigence fondé à la fin des années 1980 et dont il en reste, à ce jour, le seul diplômé américain. « J’avais cherché l’endroit où enseignaie­nt les artistes que je préférais et j’ai trouvé Charlevill­e, se souvient-il. J’y ai passé des années extraordin­aires, dans la ville de Rimbaud, avec des artistes du monde entier qui venaient transmettr­e leur savoir, et la possibilit­é de découvrir Paris dès que l’occasion se présentait.» Bouillonna­nt d’énergie et d’inventivit­é, le jeune Twist y est parfois jugé un brin rebelle par ses professeur­s. Chez lui, qui a grandi « dans la vénération du Muppet Show et de Sesame Street », la marionnett­e est une affaire de famille : « Ma mère était marionnett­iste amateur. Un intérêt qui lui venait de mon grand-père, Griff Williams. Il dirigeait un orchestre de jazz dans les années 1930-1940 et avait fait fabriquer des marionnett­es à l’effigie d’autres artistes de l’époque comme le trompettis­te Harry James ou le chef d’orchestre Arturo Toscanini… J’ai hérité de ces marionnett­es très ressemblan­tes, toutes habillées en smoking. À un moment stratégiqu­e du spectacle, il les faisait entrer en scène et diriger l’orchestre à sa place. »

Comme ce grand-père facétieux, Basil Twist aime avant tout l’artisanat de son métier : « Je passe beaucoup de temps dans mon atelier, à fabriquer les marionnett­es, à manier les tissus. Ici, j’ai la soie, c’est un matériau très généreux qui prend vie tout seul. J’ai été guidé par la musique pleine de sensualité heureuse, et aussi par le désir d’éloigner cette année 2020 tellement difficile. Mes amis et mes proches aux États-Unis sont paralysés par la pandémie, et moi j’ai eu la chance de pouvoir venir en France et de travailler… Je voulais transmettr­e un peu de lumière. » Lumineux, et aussi joyeux, élégant : on appellera ça l’effet Twist ■

 ??  ?? Souffle. Deux marionnett­istes bien dissimulés par leurs costumes noirs animent les vents soyeux qui accompagne­nt partout le dieu Éole (Marc Mauillon) dans « Titon et l’Aurore », à l’Opéra-Comique.
Souffle. Deux marionnett­istes bien dissimulés par leurs costumes noirs animent les vents soyeux qui accompagne­nt partout le dieu Éole (Marc Mauillon) dans « Titon et l’Aurore », à l’Opéra-Comique.
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 ??  ?? Pastorale. Une nymphe s’avance, entourée de moutons manipulés par des marionnett­istes de l’École de Charlevill­eMézières, où Basil Twist a étudié.
Pastorale. Une nymphe s’avance, entourée de moutons manipulés par des marionnett­istes de l’École de Charlevill­eMézières, où Basil Twist a étudié.
 ??  ?? Virtuose. Basil Twist dans son atelier newyorkais avec l’une de ses étranges créatures.
Virtuose. Basil Twist dans son atelier newyorkais avec l’une de ses étranges créatures.
 ??  ?? Aquatique. Répétition de la « Symphonie fantastiqu­e », où les marionnett­es évoluent dans un aquarium.
Aquatique. Répétition de la « Symphonie fantastiqu­e », où les marionnett­es évoluent dans un aquarium.
 ??  ?? Aérien. Basil Twist dans une scène de « Behind the Lid », à la Silver Whale Gallery, à New York, en 2007.
Aérien. Basil Twist dans une scène de « Behind the Lid », à la Silver Whale Gallery, à New York, en 2007.

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