Série (Paris Police 1900): la tigresse et les Brigades
Crimes sordides, chaos dreyfusard et luxure à tous les étages, Paris police 1900 embarque tout le monde.
L’histoire commence par la fin. Celle de Félix Faure. La (petite) mort du président de la République, en 1899, « dans les bras », comme on dit joliment alors, de sa maîtresse Marguerite Steinheil. Fellation fatale. L’affaire fait les gorges chaudes des chroniqueurs de l’époque. On attribue à Clemenceau cette phrase au sujet de Faure : « Il voulait être César, il ne fut que Pompée. » Dans le même temps, on donne à Steinheil le sobriquet douteux de «Pompe funèbre», qui devient, dans la géniale série Paris police 1900, son surnom d’espionne. On trouve là comme un parfum du Bureau des légendes, avec ses agents Moule à gaufres et Malotru, version Belle Époque. Nous sommes un an après la publication du « J’accuse », d’Émile Zola, dans une France en pleine tourmente dreyfusarde, où cette création de Canal + entrelace trois trames.
Un thriller politique, sur fond de montée de l’antisémitisme, d’abord. Avec les frères Guérin, la Ligue antisémitique de France fondée par Drumont, l’hebdomadaire L’Antijuif, les ignobles appels au meurtre des juifs sur scène (verbatim à l’appui), jusqu’à l’épisode oublié du siège de Fort Chabrol. Une enquête policière, ensuite, avec ce que Fabien Nury, le créateur de la série, scénariste du film Les Brigades du Tigre (2006), prix Le Point de la BD 2013 pour Tyler Cross, appelle son « Dahlia noir », en référence au roman de James Ellroy. C’est l’affaire de « la valise sanglante ». Une femme découverte en morceaux dans une valise, en avril 1899, un authentique fait divers. Par l’enquête, on entre dans une toute nouvelle science : la criminologie. Premières prises d’empreintes digitales, physionomie des « criminels », reconstitution de scènes de crimes – comme le temps que met un corps à descendre dans une rivière, façon petit Grégory. Au centre, le préfet Lépine (Marc Barbé) –dont le nom n’évoque plus que le concours, mais dont le rôle fut pivot, de Dreyfus au vol de la Joconde ou à la bande à Bonnot (1911). Ce dernier bataille dur pour moderniser la police, impose le téléphone dans les commissariats, redore l’image des policiers en les plaçant sur une bicyclette.
Enfin, le liant, fluide, passionnant. Non pas un cours d’histoire mais «un enchaînement de situations absurdes », relevées par Nury aux yeux soudain grands ouverts sur cette terra incognita qui constitue la moitié de l’humanité: les femmes. S’appuyant benoîtement sur un corpus de lois en place à l’époque, on voit la première femme diplômée dans l’impossibilité d’exercer son métier d’avocate (Jeanne Chauvin, interprétée par Eugénie Derouand). Ou des épouses, prostituées par leur mari, envoyées croupir en prison, tandis que les époux-proxénètes restent libres, eux, pourvu qu’ils justifient d’avoir exercé un « travail honnête un jour dans le mois ».
Minaudières garnies. On découvre aussi les hobbys d’une bourgeoisie déliquescente. Baisodromes, séances de spiritisme, salons mondains transformés en salles de shoot. La cocaïne et l’héroïne en intraveineuse à l’heure du tea for two, les femmes apportant leur petit service complet seringue-substance dans d’adorables minaudières. « C’est Trainspotting chez Visconti ! » nous assure Nury, qui trouve que « l’Histoire est une folle chevauchée que l’imagination ne peut égaler ».
Au coeur de ces tableaux du sort peu enviable des femmes, la fameuse Marguerite Steinheil, qui, pour Nury, «comme l’affaire Dreyfus, restait très théorique», avant qu’il ne se plonge dans son histoire. Cette Meg fictive rayonne. « Meg, c’est l’homme de pouvoir qui meurt et la femme qui devient héroïne », poursuit le scénariste. Il faut dire que le destin de la vraie Marguerite Steinheil a de quoi débrider l’imagination. Neuf ans après ce baiser de la mort déposé à l’Élysée, on retrouve la courtisane dans sa demeure parisienne, ligotée au lit, supposément attaquée, entourée de deux cadavres: sa mère et son mari. Le procès cristallise « toutes les pulsions misogynes », souligne le scénariste (déjà en train de l’inscrire dans la saison 3). La «Pompe funèbre» était-elle aussi une mante religieuse et une matricide ? On la traitera de tout. Mais, pour l’heure, la sulfureuse Meg incarne « la liberté, la modernité interdite aux femmes à cette époque ». Avec la mort de Faure, la courtisane perd ses revenus et se recycle en moucharde, enrôlée par la police pour infiltrer la Ligue antisémitique de France. « Meg, s’emballe Nury, inverse la proposition de la femme objet du désir masculin ; c’est l’agent subversif au sein de la mythologie réactionnaire. » Meg, suprêmement interprétée par la gracile Évelyne Brochu, aussi fine et blonde que la vraie Steinheil était petite et brune. Le casting apporte à la fois la blondeur des héroïnes hitchcockiennes et le tempérament de celles du cinéma italien, les Claudia Cardinale ou Sophia Lauren, «désirables et désirantes, qui tirent activement et finement parti d’une certaine forme de patriarcat ». Meg, pour le scénariste, c’est la revanche de la Milady de Winter de Dumas sur les puritains.
Des personnages féminins battants font-ils une série féministe ? Paris police 1900 veut simplement donner à voir. «Vous en tirez les enseignements sociétaux, humains que vous voulez », conclut le créateur. Qui croit toutefois que le progrès, c’est ça : prendre conscience et changer. Qui lui donnerait tort ?
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Paris police 1900, huit épisodes de 52 minutes à partir du 8 février, par deux, à 21 heures. En intégralité sur MyCanal.
« C’est “Trainspotting” chez Visconti ! L’Histoire est une folle chevauchée que l’imagination ne peut égaler… » Fabien Nury, créateur de la série