Le Point

Les « 20 % », nouvelle fracture française

- PAR SÉBASTIEN LE FOL

Au pays de Thomas Piketty, on pense encore que les 1 % les plus riches de nos concitoyen­s impriment leur marque à notre société. Cette grille de lecture, outre son aspect faux et idéologisé, occulte d’autres fractures bien plus puissantes. Ainsi celle, profonde et inexorable, entre les plus diplômés des Français et les autres. Dans un livre qui devrait retenir l’attention de nos dirigeants, la sociologue Monique Dagnaud et l’essayiste Jean-Laurent Cassely s’intéressen­t à la Génération superdiplô­mée (Odile Jacob), les 25-40 ans (voir p. 96).

20 % de cette tranche d’âge possède un niveau bac + 5 au minimum.

On pourrait penser que le modèle méritocrat­ique fondé sur des diplômes fonctionne à merveille. Il produit certes d’excellents ingénieurs et de hauts cadres administra­tifs. Mais ce modèle visait, rappelons-le, à favoriser la mobilité sociale. Au contraire, il a accentué la reproducti­on des élites. Les grandes écoles recrutent davantage chez les cadres supérieurs que dans le reste de la société. Les surdiplômé­s se mettent en couple, et leurs enfants sont formés dès le plus jeune âge en vue de décrocher des lauriers prestigieu­x. Cette génération surdiplômé­e n’est pas la « classe dominante », selon Monique Dagnaud et Jean-Laurent Cassely, mais la « classe désirable » : « celle qui propose un mode de vie, des idées et des valeurs ». En gros, écologie, Montessori, vélo et graines de chia. Avec un penchant pour la culture

« woke », traquant le moindre danger pour leur susceptibi­lité. « Cette nouvelle aristocrat­ie est jugée plus arrogante que les précédente­s car elle a le mérite pour elle », estime Brice Couturier dans son excellente série « La méritocrat­ie en procès », diffusée sur France Culture en novembre dernier. Le ressentime­nt à l’égard de cette classe définie par son éducation et ses valeurs alimente le moteur du populisme, selon la plupart des auteurs anglo-saxons qui ont planché sur le sujet : Kwame Anthony Appiah, David Goodhart, Michael Sandel, Daniel Markovits et d’autres encore. Avec son élite minuscule formée dans quelques grandes écoles, la France offre l’exemple le plus spectacula­ire de cette nouvelle méritocrat­ie. Notre société survaloris­e les études supérieure­s et les capacités cognitives des cols blancs. Elle ne sait pas reconnaîtr­e les autres formes de talent et d’intelligen­ce. Comme si le mécanicien, le plombier ou l’ébéniste n’utilisaien­t pas leur cerveau. Quel réformateu­r audacieux s’attaquera à ce séparatism­e-là ? ■

Newspapers in French

Newspapers from France