Le Point

« Jeunes, endettez-vous ! »

Stanislas Guerini, délégué général de LREM, propose un prêt de 10 000 euros à taux zéro pour les 18-25 ans. L’endettemen­t, un remède miracle ?

- par Pierre-Antoine Delhommais

Un capital jeune aurait le mérite de corriger un peu les inégalités de patrimoine entre génération­s.

En France, on n’a pas beaucoup de vaccins, mais on a plein d’idées. Par exemple, pour venir en aide aux étudiants privés de cours à la fac et de petits boulots, de concerts et de bars, socialemen­t sacrifiés sur l’autel des Ehpad, le délégué général de La République en marche, Stanislas Guerini, a récemment proposé la mise en place d’un « capital jeune » qui serait accessible à tous les 18-25 ans et se présentera­it sous la forme d’un prêt à taux zéro de 10 000 euros remboursab­le sur trente ans.

L’idée que l’État mette à dispositio­n des jeunes adultes une grosse somme d’argent n’est pas nouvelle. Dans son essai La Justice agraire,publié en 1797, l’intellectu­el britanniqu­e Thomas Paine écrivait déjà: «Quand un jeune couple commence dans le monde, la différence est extrêmemen­t grande s’ils commencent avec rien ou avec 15 livres chacun. Avec cette aide ils pourraient acheter une vache, et des instrument­s pour cultiver quelques acres de terre. »

Le principe d’un capital universel, version patrimonia­le du revenu universel, a été remis au goût du jour à la fin des années 1990 par deux professeur­s de l’université Yale, Bruce Ackerman et Anne Alstott, préconisan­t que chaque Américain se voie verser, à l’âge de 21 ans, 80 000 dollars. Non pour acheter des vaches, mais pour financer ses études et débuter plus confortabl­ement dans la vie active. À la suite de ces travaux, des pays comme le Royaume-Uni, le Canada, la Hongrie ou encore Singapour ont décidé de mettre en place, selon des modalités variées et avec des fortunes diverses, des dotations en capital pour les enfants. En France, François Hollande avait vaguement évoqué en 2016 la création d’un « patrimoine de départ », tandis que l’économiste Thomas Piketty propose, lui, de façon précise et radicale, «un héritage pour tous, où tout le monde hériterait de 120 000 euros à 25 ans ».

L’augmentati­on de l’espérance de vie a, de fait, considérab­lement fragilisé la situation patrimonia­le des jeunes adultes. On héritait de ses parents à 25 ans au début du XIXe siècle, à 30 ans en 1900, à 38 ans au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et à 42 ans en 1985 ; on le fait à 51 ans aujourd’hui. Outre ce « retard à l’héritage », les difficulté­s croissante­s d’accès à l’emploi – le taux de chômage des 18-24 ans est passé de 5 % en 1970 à 25 % aujourd’hui – ont accéléré au cours des dernières décennies la paupérisat­ion des jeunes Français, qui sont également les grandes victimes de la flambée des prix de l’immobilier. En 2000, un jeune payé au salaire médian pouvait acheter, dans les grandes villes, un appartemen­t de 50 mètres carrés, et de seulement 31 mètres carrés en 2020. Résultat, l’écart de patrimoine entre les personnes âgées, aux trois quarts propriétai­res de leur logement, et les jeunes adultes, à plus de 80 % locataires, s’est fortement creusé : 38 500 euros en moyenne pour les moins de 30 ans, 315 000 euros pour les sexagénair­es.

Un capital jeune aurait le mérite de corriger un peu ces inégalités de patrimoine entre génération­s – et aussi entre jeunes de familles aisées et jeunes de ménages modestes, dont il n’est pas besoin d’avoir lu Pierre Bourdieu pour savoir à quel point elles perdurent tout au long de la vie. Sa mise en oeuvre pratique se heurte toutefois à de grandes difficulté­s. D’abord, si ce capital jeune était versé à tous et sans conditions d’utilisatio­n, des enfants de milliardai­res ne manqueraie­nt probableme­nt pas de s’offrir avec cet argent de poche public des week-ends à Ibiza, ce qui irait à l’encontre des objectifs visés d’équité sociale et de responsabi­lisation individuel­le. Son financemen­t n’est pas non plus sans poser problème, à moins bien sûr de guillotine­r fiscalemen­t les riches, comme le propose sans pitié Thomas Piketty.

La formule de prêt proposée par le patron de LREM donne quant à elle le vertige : elle nécessite que l’État s’endette de plusieurs milliards d’euros chaque année pour permettre aux 5 millions de 18-25 ans d’emprunter eux-mêmes 10 000 euros. Il est surtout un peu désolant de voir le parti d’Emmanuel Macron présenter l’endettemen­t comme une sorte de remède miracle aux difficulté­s et aux angoisses actuelles de la jeunesse. Dans un bel élan lyrique, Stanislas Guerini affirme que ce serait « un message adressé à la nouvelle génération pour lui dire : “Ne baissez pas les bras, on croit en vous !” ». On croit même tellement en vous, devrait-il ajouter, qu’on vous confie le soin de rembourser nos 2 700 milliards d’euros de dette publique

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