D’une icône l’autre
Ces fragrances ont également vu le jour au siècle précédent mais n’ont jamais perdu de leur pouvoir de séduction et de fascination. Ce sont les parfumeurs qui en parlent le mieux.
EAU SAUVAGE, 1966 Christian Dior
En 1966, au coeur d’une décennie de rupture, celle de toutes les révolutions, Parfums Christian Dior lance l’une des compositions masculines les plus emblématiques du XXe siècle. « Eau Sauvage a été une révélation pour toute une jeunesse », explique François Demachy, parfumeur créateur de la maison Dior. « Le coup de génie de son créateur, Edmond Roudnitska, a été d’ajouter à des éléments classiques de l’hédione, une molécule issue du jasmin, dans des proportions alors inédites. On incorporait une note fleurie à un produit masculin qui avait l’air simple mais qui, en réalité, était très sophistiqué. » À la fois policé et irrévérencieux, Eau Sauvage s’inscrit toujours dans le top 10 des meilleures ventes de parfums masculins en France (1). « Il est olfactivement difficile à dater. Sa délicatesse, sa fraîcheur, sa naturalité en font une création immédiatement plaisante et très actuelle », analyse François Demachy, avant d’ajouter que « la liberté est une valeur qui passe toutes les époques ». À partir de 1968, les publicités dessinées par Gruau brossent avec humour le portrait d’un homme sensuel et sensible. Les campagnes plus tardives, avec Zinédine Zidane, Johnny Hallyday et Alain Delon alangui sous le soleil de Ramatuelle dans La Piscine, de Jacques Deray (1969), entretiendront la légende.
ANGEL, 1992 Thierry Mugler
Lancé en 1992, Angel joue le jamais-vu : un flacon sculptural en forme d’étoile, un parfum bleu qui provoque un véritable choc olfactif. « C’est un jus totalement novateur, le premier gourmand, avec ses notes addictives de chocolat, de miel, de vanille et de praline, construites autour d’un très beau patchouli d’Indonésie. Il était le seul dans sa catégorie », analyse son créateur, le parfumeur Olivier Cresp. Les nouvelles normes sont faites des révolutions d’hier, et Angel ouvre la voie à un pan entier de la parfumerie. « Un grand parfum doit avoir de la personnalité, du sillage et de la puissance. Angel a été pensé comme un parfum de niche, sans tests consommateurs, avec cette volonté de créer quelque chose de neuf sans se soucier de plaire au plus grand nombre. » Son lancement sera confidentiel et la distribution, dans un premier temps, limitée. Après trois ans de boucheà-oreille et l’arrivée des premières campagnes mettant en scène Jerry Hall dans le désert du Nouveau-Mexique, les ventes décollent et s’avèrent étourdissantes. « Pour devenir emblématique, un parfum doit rester en permanence en haut de l’affiche, il faut s’en occuper et le chérir », rappelle le créateur. Angel n’a
cessé d’être entretenu, notamment grâce à de nombreuses déclinaisons, éditions limitées et autres flacons de collection. Depuis vingt-neuf ans, la fascination et le désir qu’il suscite n’ont jamais faibli.
POUR UN HOMME, 1934 Caron
En 1934, alors que les nuages s’amoncellent à l’horizon du monde, le parfumeur Ernest Daltroff, fondateur des parfums Caron, s’apprête à créer l’événement avec l’une des premières fragrances conçues pour les hommes. « À cette époque, les hommes ne se parfumaient pas, ou seulement à la traditionnelle eau de Cologne. Daltroff a été l’un des premiers à leur proposer un vrai parfum, explique Jean Jacques, l’actuel parfumeur de la maison. La formule, courte et précise, repose sur une explosion de lavande naturelle habillée par la vanille et les muscs, des éléments que l’on identifie aisément, qui rassurent et réconfortent. » Pour un Homme est l’un des très rares parfums masculins de la première moitié du XXe siècle à être encore largement distribué et plébiscité. « Son nom est percutant, désarmant de simplicité et d’évidence, il envoie un message universel qui transcende les époques. La parfumerie a évolué vers des formules plus courtes et moins alambiquées. Comme en musique ou dans les grands courants artistiques, la simplicité est synonyme d’intemporalité. Il faut qu’un parfum ait un message suffisamment clair pour être compris. En ce sens, Pour un Homme est très actuel. »
LE MÂLE, 1995 Jean Paul Gaultier
Avec son premier masculin (1995), Jean Paul Gaultier est parvenu à se faire une place de choix dans l’univers de la parfumerie. « Le projet s’articulait autour de l’odeur d’un monsieur soigné et propre qui sort de chez le barbier. Il y avait également cette idée d’une création sensuellement et sexuellement engagée, une histoire de peau. C’est très intemporel », explique son créateur, le parfumeur Francis Kurkdjian. Et d’ajouter : « Quand on compose, on ne se dit pas que l’on va faire un nouveau classique. Plus on le veut et moins on y parvient. Avant tout, il faut une belle histoire qui passe le temps et un parfum qui réponde à ça. » Lancé il y a bientôt vingt-six ans, « Le Mâle ne marque pas son âge. C’est un oriental poudré, un genre inhabituel au rayon masculin. Rien dans ses accords et sa structure ne le rattache aux années 1990. Pour qu’un parfum devienne intemporel, il ne faut pas que sa formule dépende des matériaux d’une époque ». Son conditionnement provocateur – un buste d’homme aux pectoraux saillants vêtu d’une marinière, dans une boîte en métal –, en rupture totale avec les codes du luxe, contribue aussi à son succès. Tous ces éléments lui permettent de transcender les notions d’âge et de milieu social. « On ne peut pas s’adresser à une cible trop réduite. Les grands parfums touchent un public très large. »
SHALIMAR, 1925 Guerlain
En 1925, un parfum fait sensation à l’Exposition internationale des arts décoratifs : Shalimar. Il est né d’une histoire d’amour, celle de l’empereur moghol Shah Jahan et de la princesse Mumtaz Mahal. Il crée pour elle les jardins de Shalimar puis, à sa mort, inconsolable, lui dédie le Taj Mahal. Ce récit enflamme l’imagination de Jacques Guerlain. « Shalimar est un rêve d’Orient. Ce thème du voyage imaginaire est intemporel et parle à toutes les générations, analyse Thierry Wasser, parfumeur de la maison Guerlain. Ce parfum est le père de tous les orientaux. Ses notes vanillées lui confèrent un aspect sensuel et intemporel. Il dévoile tour à tour une overdose de bergamote, un coeur extrêmement floral avec le jasmin grandiflorum et la rose, puis le cuir, la vanille et des notes de tonka. Ce mouvement extraordinaire de clair-obscur rend Shalimar complexe et mystérieux. » Les États-Unis sont le premier pays à lui réserver un accueil triomphal, contribuant à son incroyable succès. « Nous prenons le plus grand soin de ce chef-d’oeuvre. Il y a un devoir, une proximité émotionnelle avec son créateur. À toutes les époques, de nombreuses femmes se le sont approprié. C’est un talisman qui donne de l’assurance. Aujourd’hui, il répond à une recherche des parfums à sillage. Et qui n’a jamais croisé celui de Shalimar ? Son empreinte est inoubliable. »
1. Source : NPD Group, novembre 2020.