Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

Maintenant que tout le monde porte un masque – sauf peut-être dans le nord de Paris, de Marseille et de Nice –, on a l’impression qu’il a disparu. Éclipsé par les trois nouvelles vedettes de l’épidémie: la variante sud-africaine, l’anglaise et le vaccin. Il semblerait que le masque, champion des gestes barrières du jour où il devint obligatoir­e, soit désormais relégué au magasin des accessoire­s anodins. Pas une fois dans les médias, fidèles relais du Premier ministre Castex et du président Macron, n’est évoqué le jour où nous pourrons, avec un grand ouf nasal, l’enlever dans la rue, au bureau ou dans les magasins. Le masque a gagné droit de cité sur toute la terre, pour un temps indétermin­é et peutêtre pour toujours. Son port est si naturel, si répandu, si indiscutab­le que le non-port du masque, par sa rareté, se transforme en infraction presque risible. Passer à pied sans masque devant une voiture de police occupée par quatre agents masqués ne provoquera chez eux qu’un étonnement froid, presque méprisant. Il leur en faudrait davantage pour qu’ils sortent de leur véhicule surchauffé. Le masque est porté par tant de gens que, lorsqu’on croise quelqu’un qui n’en a pas, une vague panique s’empare de nous, comme si on se trouvait en présence d’un extraterre­stre. Tout est prêt pour que nous allions sur Mars, peut-être que tout est prêt sur Mars pour que les Martiens viennent chez nous. Le non-port du masque n’est plus un délit, c’est une aberration. Il sidère la rue, tel l’atterrissa­ge d’une soucoupe volante sur la place des Abbesses. Les seules personnes chez qui le non-port du masque ne nous surprend pas sont les SDF. N’ayant rien, pourquoi auraient-ils un masque ? On les appelle désormais les SMF : les sans masque fixe. L’un d’eux m’a abordé il y a quelques jours, place de Clichy. Il m’a traité de « people », peut-être parce que j’étais au téléphone. Nous avons eu une petite altercatio­n qui s’est terminée en ébauche de bousculade. Bien sûr, il ne portait pas de masque et soudain son visage haineux, déformé par la misère, m’a paru plus humain que tous les passants masqués qui nous entouraien­t.

Quand les bars et les restaurant­s ouvriront, ça nous fera tout drôle de rouvrir la bouche, et donc d’enlever notre masque. On se sentira nu sans lui, exposé à tous les dangers de l’atmosphère. On reverra le visage des filles dont on ne voit plus, depuis des mois, que les yeux, les cheveux et les jambes. Cette barbe de huit jours, mise à la mode par Ernest Hemingway au large de Key West dans les années 50 du siècle dernier, refleurira chez les hommes de moins de 75 ans. Quand on entre masqué chez un commerçant, on le sent sur le quivive, surtout si c’est un commerce de luxe. Il ne sait pas à qui il parle, ni si on vient pour lui acheter ou lui voler quelque chose. Si on avait dit à Mesrine et à Besse qu’un jour il faudrait porter un masque pour entrer dans une banque, ils auraient bien ri dans leur QHS

On se sentira nu sans lui, exposé à tous les dangers de l’atmosphère. On reverra le visage des filles dont on ne voit plus, depuis des mois, que les yeux, les cheveux et les jambes.

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Le Premier ministre, Jean Castex.

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