Le Point

Les éditoriaux de Luc de Barochez, Pierre-Antoine Delhommais, Nicolas Baverez

La pandémie a aggravé les faiblesses pathologiq­ues de notre mode de gouvernanc­e. Nous vivons désormais dans une démocratie « défectueus­e », selon « The Economist ».

- par Luc de Barochez

Le coronaviru­s a infecté la gouvernanc­e de la France à tel point que notre pays a quitté le club des démocratie­s à part entière, si l’on en croit The Economist. Notre république, selon l’hebdomadai­re britanniqu­e, est désormais à ranger dans la catégorie des démocratie­s « défectueus­es » (« flawed »). Le déclasseme­nt est humiliant. Le diagnostic, pourtant, est juste.

La démocratie française était déjà souffreteu­se avant le Covid. L’épidémie a aggravé ses faiblesses pathologiq­ues : défiance des autorités envers les citoyens, et vice versa; centralisa­tion et concentrat­ion excessives de l’exécutif ; abus de normes et de réglementa­tions qui étouffent l’esprit d’entreprise et les initiative­s ; reproducti­on des élites en vase clos ; corporatis­me exacerbé ; absence de concertati­on et de culture du compromis ; mépris pour les droits des minorités, etc.

La crise sanitaire a encore accentué la verticalit­é du pouvoir. Le pays vit au rythme du conseil de défense, un organe qui siège dans le secret. L’autorité absolue du président de la République, chef des armées, s’y exerce sans frein. Un régime d’exception, « l’état d’urgence sanitaire », est imposé depuis près d’un an (loi du 23 mars 2020). Il a permis la mise entre parenthèse­s de libertés pourtant fondamenta­les, par le biais de confinemen­ts indifféren­ciés, de couvre-feux ou de mesures infantilis­antes, comme les attestatio­ns de déplacemen­t dérogatoir­e. La gestion des émotions collective­s s’est substituée à l’État de droit.

Les mesures en vigueur sont-elles bien nécessaire­s, adaptées et surtout proportion­nées aux risques sanitaires encourus ? Le Parlement n’a guère eu l’occasion d’en débattre. En témoigne le sabordage de la mission d’informatio­n de l’Assemblée nationale sur la gestion de l’épidémie, le 27 janvier. Ou encore le tirage au sort d’un « collectif de citoyens » censé débattre de stratégie vaccinale. La mise à l’écart des élus contribue à pervertir le fonctionne­ment de la démocratie représenta­tive.

La France ne fait pas exception. Dans le monde, la pandémie s’est soldée, outre 2,3 millions de morts au moins, par une restrictio­n massive des libertés. Selon la cellule de recherche de The Economist, le score démocratiq­ue de 116 pays a chuté l’an dernier. L’indice moyen a atteint son niveau le plus bas depuis que son calcul a été mis au point, il y a quatorze ans. Le recul n’est pas seulement dû aux confinemen­ts. Des régimes autoritair­es ont profité de l’aubaine du Covid pour durcir la répression. « Pour la première fois en ce siècle, écrit l’historien d’Oxford Timothy Garton Ash dans la revue britanniqu­e Prospect, les régimes non démocratiq­ues sont désormais majoritair­es parmi les pays de plus de 1 million d’habitants. » Plus du tiers des habitants de la planète vivent dans un État autoritair­e, voire totalitair­e.

Trente-deux ans après la chute du mur de Berlin, le bilan est navrant. Un premier recul démocratiq­ue avait été observé il y a une décennie dans la foulée de la crise financière qui avait

« L’état d’urgence sanitaire » a permis la mise entre parenthèse­s de libertés pourtant fondamenta­les.

contribué à discrédite­r les institutio­ns libérales. Le fait nouveau est que les pouvoirs publics eux-mêmes sont à la source de la régression en cours, par les mesures coercitive­s qu’ils ont imposées pour enrayer la pandémie.

« La démocratie aura peut-être été dans l’histoire un accident, une brève parenthèse, qui sous nos yeux se referme», écrivait déjà en 1983 l’essayiste libéral Jean-François Revel*. C’est dire que la crise de ce mode de gouvernanc­e ne date pas d’aujourd’hui. On pourrait même remonter jusqu’à l’Antiquité et aux convulsion­s de la démocratie athénienne. Des signes d’espoir existent pourtant aujourd’hui. En Amérique, les institutio­ns démocratiq­ues ont été assez solides pour résister à la tornade Donald Trump. En Asie, trois États ont fait l’an dernier le mouvement inverse de celui de la France dans le classement de The Economist : le Japon, la Corée du Sud et Taïwan sont devenus « démocratie­s à part entière ». Ces trois pays ont prouvé qu’on pouvait lutter efficaceme­nt contre la pandémie sans renoncer aux idéaux démocratiq­ues ni altérer les institutio­ns.

Ce qui est possible dans les pays asiatiques les plus avancés doit l’être en Europe. Pour cela, les citoyens doivent prendre conscience de leur responsabi­lité individuel­le dans la préservati­on du bien commun. L’État doit leur rendre leur libre arbitre et assumer de rendre des comptes. À ces conditions, la France pourra redevenir une démocratie à part entière

■ Comment les démocratie­s finissent, Grasset, 1983.

Newspapers in French

Newspapers from France