Le Point

Polar (C. Férey) : dans « la ville la plus pourrie du monde »

Le Monfreid du polar est parti jouer les touristes à Norilsk, en Russie. Un Caryl Férey en transe sibérienne.

- PAR JULIE MALAURE

Il nous tend son smartphone, fait défiler des photos stupéfiant­es. Un ouragan violet, le thermomètr­e de l’hôtel de ville indiquant une températur­e de –64 °C, un camion balayé par une rafale, une toiture d’immeuble arrachée par la tempête. Exactement comme dans la scène inaugurale de son nouveau roman, Lëd, qui se déroule à Norilsk, en Sibérie. Une cité minière soviétique, ex-goulag, des barres d’immeubles en béton décrépi, « à part l’avenue Lénine, qui sert de vitrine pour les visites officielle­s de Poutine », souligne le romancier. La ville la plus septentrio­nale du monde est aussi, dit-on, la plus polluée. Au mois d’août 2020, la ville, déclarée en état d’urgence écologique, faisait les gros titres dans le monde entier : la rivière était devenue rouge sang d’hydrocarbu­res…

Qu’est-ce que Caryl Férey, que l’on connaît plutôt là où le soleil cogne, est venu faire dans cette galère échouée sur le permafrost? C’était il y a trois ans. Après la Nouvelle-Zélande (Haka), l’Afrique du Sud (Zulu), l’Argentine, le Chili et la Colombie (Mapuche, Condor et Paz), ce Monfreid du polar répond à une bravade des éditrices de la maison Paulsen : livrer un récit de voyage sur « la ville la plus pourrie du monde ». Pourtant, Férey n’aime ni le froid ni les Russes, qu’il estime «racistes, homophobes, brutaux» – avant que les clichés tombent. N’a-t-il pas aussi écrit, clin d’oeil à Érasme, un Petit Éloge de l’excès (Folio)? Il part. Paris-Moscou, Moscou-Norilsk « dans un vieux coucou type DC10 », avec « la Bête ». Un ami, un frère, un borgne, un bandeau comme les pirates et un appareil photo pour remplacer l’oeil manquant. « Tout est blanc, vu du ciel », se souvient le romancier. Pas son hôtel, « orange et beige, soviétique, comme l’accueil ». Férey raconte la pollution qui empeste l’air, « acre, sucrée ». Le nez s’habitue, pas le regard, qui perçoit les hauts-fourneaux en permanence. Commerces aux devantures aveugles, « à cause du froid », noms de bars ou de restaurant­s hermétique­s puisque écrits en cyrillique, le baroudeur et la Bête cherchent désespérém­ent un rade pour rencontrer des oiseaux « comme eux ». Ils en trouvent. Des mineurs – « la ville appartient à Norilsk Nickel » (aussi gros que Gazprom). On lui demande s’il est espion – « tous les Français sont des espions, même pour une ONG on est enregistré “agent étranger” ». La France vue de Sibérie ? « Marine Le Pen, la CGT, les émeutes. »

Norilsk paraît en 2017, lui inspirant le roman qui sort aujourd’hui, Lëd – « glace » en russe. On y retrouve les nouveaux potes de Férey. Ils naissent à Norilsk, meurent à Norilsk (où l’espérance de vie atteint

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Glaçant. Cette fois, la matière du roman de l’écrivain français, ce sont les mineurs de Norilsk, ville où l’espérance de vie plafonne à 52 ans.

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