Le Point

Roman : Lapaque, le fils de Bernanos

- PAR FRANZ-OLIVIER GIESBERT

On a beau enterrer notre cher Bernanos, il revient toujours pour fustiger l’époque, son cynisme, ses imbéciles, entre deux verres de rouge. Ces temps-ci, il s’appelle Sébastien Lapaque qui, lui non plus, ne se sent pas bien dans son siècle. Il recherche même désespérém­ent la sortie.

Lapaque commence son roman par l’une des plus belles premières phrases que j’aie lues depuis longtemps : « Comme le monde est beau, cependant. » Vous aurez compris l’importance de l’adverbe. Si cet enfant de Bernanos est saisi par la grâce, il est bien conscient des pesanteurs qui le tirent vers le bas et forment ce qu’il appelle « l’Immonde ».

C’est l’une des deux forces qui nous mènent. Comme il y a le yin et le yang, éros et thanatos, nous sommes écartelés entre le monde et l’Immonde. La beauté du premier est partout, dans les étoiles, les mésanges, l’enfance, la vieillesse, il suffit d’ouvrir les yeux pour la trouver : elle provoque toujours l’émerveille­ment.

La laideur de l’Immonde nous saisit à chaque instant. S’il fallait la résumer, on pourrait dire que c’est un rire triste, ce « hennisseme­nt sec et mécanique » qui retentit devant les catastroph­es, l’indifféren­ce, la cupidité, notre « bagne matérialis­te », le culte des apparences. Ecorché vif, Lapaque fait beaucoup penser à Calet, écrivain méconnu du XXe, qui a écrit, peu avant de mourir, cette phrase inoubliabl­e : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. »

Lapaque ravale ses larmes. Ce monde est tellement beau n’est pas un roman geignard, même s’il raconte la débine d’un quarantena­ire, professeur d’histoire-géo d’un lycée parisien, qui se fait plaquer par sa compagne sans la moindre explicatio­n, tout en se laissant porter par une amourette rêveuse et sans suite avec une jeune voisine. Qu’importent les avanies de la vie, ce héros est indestruct­ible : Lazare, c’est son nom, est traversé par la grâce.

Ce gros et puissant roman en trois parties (« L’Immonde », « La Promesse », « La Joie »), où il est beaucoup question de foi, de la messe du dimanche, de la paix des abbayes, tandis que coule la vie, sous le signe de Bach et de Shakespear­e, avec ses amitiés vraies, ses verres de vin, ses parties de poker, ses morts injustes dont on ne se remet jamais. Sans oublier la disparitio­n des moineaux parisiens – un vrai sujet. Il en y a qui écrivent des livres pour se pavaner ou entrer à l’Académie française. Sébastien Lapaque écrit dans l’urgence, les yeux rongés de chagrin, poursuivi par un démon, en recherchan­t son salut dans l’attente de Dieu

Ce monde est tellement beau, de Sébastien Lapaque (Actes Sud, 326 p., 21,80 €).

COMME IL Y A LE YIN

ET LE YANG, ÉROS ET THANATOS, NOUS SOMMES ÉCARTELÉS ENTRE LE MONDE ET L’IMMONDE.

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Sébastien Lapaque.

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