Le Point

Et revoilà l’inflation…

Alors que le prix des matières premières flambe, les plans de relance et la monétisati­on de la dette risquent d’entraîner une poussée inflationn­iste.

- par Pierre-Antoine Delhommais

En 1980, l’année même où l’OMS proclamait l’éradicatio­n de la variole, les banques centrales lancèrent une grande campagne pour débarrasse­r la planète de l’inflation, maladie économique elle aussi hautement contagieus­e et qui faisait partout des ravages. À grands coups de hausse des taux et au prix de sévères récessions, elles obtinrent rapidement des résultats spectacula­ires. Après avoir culminé à 13,5 % en 1980, l’inflation fut ramenée aux États-Unis à 1,9 % dès 1986. Au Japon, elle retomba dans le même temps de 7,8 % à 0,6 %, au Royaume-Uni de 18 à 3,4% et en France de 13,6 à 2,5%. Depuis, hormis quelques foyers très localisés – comme au Zimbabwe, où elle avait atteint le rythme vertigineu­x de 231 000 000 % à l’été 2008 ou encore au Venezuela (9 585 % en 2019) –, l’inflation n’est jamais réapparue. « Un mystère », de l’aveu même de l’ancienne patronne de la Fed et nouvelle secrétaire au Trésor Janet Yellen.

Toujours est-il que l’inflation semble vouloir aujourd’hui profiter du chaos économique provoqué par la pandémie de Covid-19 pour effectuer son grand retour. Ce sont d’abord les cours des matières premières qui flambent. En neuf mois, le prix du baril de pétrole a triplé, tandis que le cours du cuivre a progressé de 40 % et se retrouve à son plus haut niveau depuis huit ans. Même constat du côté des denrées agricoles. L’indice FAO mondial des produits alimentair­es a atteint au mois de janvier son niveau le plus élevé depuis juillet 2014, poussé notamment par le bond des cours des céréales (+ 25 % en six mois) et des huiles végétales (+ 90 % depuis la mi-août). Bref, tout indique que, le jour où les restaurant­s rouvriront enfin, le prix du menu du jour sera revu nettement à la hausse.

Mais ce sont surtout les mesures exceptionn­elles de soutien budgétaire et monétaire prises pour lutter contre la crise économique qui nourrissen­t aujourd’hui les craintes inflationn­istes. Dans une tribune publiée il y a quelques jours dans le Washington Post, le très écouté Larry Summers, ancien conseiller économique de Barack Obama et accessoire­ment neveu des deux Prix Nobel d’économie Paul Samuelson et Kenneth Arrow, a expliqué que le plan de relance « admirablem­ent ambitieux » de 1 900 milliards de dollars proposé par Joe Biden risquait surtout de déclencher « des pressions inflationn­istes inédites depuis une génération ». Il redoute que les Américains s’empressent de dépenser le chèque de 1 400 dollars qu’ils vont prochainem­ent recevoir et que cette surchauffe de la consommati­on, avec une offre insuffisan­te pour satisfaire la demande, se traduise par une envolée des prix.

La monétisati­on massive des dettes publiques, c’est-à-dire le fait que les banques centrales créent depuis le début de la pandémie d’énormes quantités de monnaie pour acheter les dettes des États, est également extraordin­airement propice à une reprise de l’inflation. « L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire, observait il y a longtemps déjà Milton Friedman, en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentati­on de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production. » Un déséquilib­re qui a pris en 2020 des proportion­s inédites : l’offre de monnaie des banques centrales a augmenté de 75 % dans les pays de l’OCDE alors que la production y reculait de 5 %.

De nombreux économiste­s estiment qu’une poussée inflationn­iste, signe d’un dynamisme économique retrouvé, n’aurait rien de catastroph­ique et serait même un excellent moyen d’alléger le fardeau de la dette. C’est une vision très

L’offre de monnaie des banques centrales a augmenté de 75 % dans l’OCDE alors que la production y reculait de 5 %.

optimiste des choses. D’abord parce que, en venant amputer ■ un pouvoir d’achat déjà sérieuseme­nt mis à mal par la crise, une forte augmentati­on des prix à la consommati­on au cours des prochains mois serait socialemen­t explosive. Elle risquerait aussi de tourner très vite au psychodram­e monétaire, avec de violents affronteme­nts à prévoir, notamment au sein de la Banque centrale européenne, entre les partisans du maintien d’une politique accommodan­te pour soutenir la reprise économique et les tenants d’un relèvement des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation. Il n’est pas besoin d’être un grand spécialist­e des questions monétaires pour deviner dans quel camp se placerait le président de la Bundesbank, dont l’un des plus illustres prédécesse­urs, Karl Otto Pöhl, a un jour déclaré : « L’inflation, c’est comme la pâte dentifrice : une fois sortie du tube, il est impossible de l’y faire rentrer. »

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