« Sa Majesté l’enfant »
PAR MICHEL SCHNEIDER
Si j’étais le Dr Dayan, le psychanalyste star de la série d’Arte En thérapie, et si Emmanuel Macron me demandait un rendez-vous pour parler de ses symptômes depuis la traversée des grèves, des Gilets jaunes et de l’épidémie de Covid-19, je ne lui poserais que des questions sans risquer aucune interprétation. Je commencerais par lui demander d’où vient cette envie de parler en privé à un thérapeute, lui qui parle tant et si bien en public devant les auditoires les plus réticents et les plus variés. Mais, me demanderais-je, après tout, la cure de parole serait-elle bien indiquée pour retracer l’étiologie de son symptôme majeur?
Parler, souvent dans le vide, parler à tout bout de champ, jusqu’à recommander l’aération des maisons et s’indigner d’un inceste parisien très médiatisé… Pour un politique, il est préférable de pratiquer L’Art de se taire (abbé Dinouart, 1771) dont le premier principe est : « Il ne faut parler que si cela vaut mieux que le silence. » Il me répondrait peutêtre que c’est plus fort que lui. De minimis curat praetor, c’est son mode de gouvernement.
Je le questionnerais : d’où vient que, à 40 ans passés, il répète sans cesse une sorte de grand oral perpétuel comme celui qu’il a passé à l’ENA, cherchant à remplir les attentes du jury et à faire ses preuves.
Je parle, donc je suis ? Faux self ? Celui dont se revêtent les êtres fragiles hyperadaptés aux attentes de la société ? Comment un président peut-il à ce point calquer son propos sur ce que l’autre peut ou veut entendre et dire ainsi: «Il y a des violences policières si ça vous fait plaisir que je le dise » ?
Banalement, nous rechercherions dans son enfance ce qui a pu déterminer ce besoin irrépressible de séduire son monde, tout en protégeant ses désirs inconscients de l’emprise de l’autre. À qui, à quelle figure parentale adresse-t-il sa demande éperdue de reconnaissance ? Qui n’a pas su l’entendre quand il était enfant, son père, sa mère? Doit-il vraiment se montrer sans cesse plus intelligent que les autres et se justifier devant les grandes personnes pour se faire aimer ? Le moi infantile tout-puissant s’incarnerait-il dans la figure omnipotente du « chef de guerre » (de Barkhane au Covid) ? Quelles défenses se masquent en réunissant dans le secret le conseil du même nom? L’hyperprésidentialisation actuelle serait-elle la manifestation d’un évitement de l’angoisse de castration ? Dans les colonnes du Parisien le 4 juillet 2017, Édouard Philippe ironisait ainsi sur sa relation avec le président : « Je me sens mal, si mal. J’ai la boule au ventre tous les matins à l’idée de bosser avec ce castrateur. » À qui cherche-t-il à couper la parole en tranchant de tout, tout seul ?
S’il m’en laisse le temps – les politiques sont peu enclins à pratiquer l’analyse –, j’aborderais une question d’actualité : quel lien fait-il entre ses positions envers l’ordre médical, se soumettant à ses injonctions surmoïques mais revendiquant ensuite une liberté d’action absolue, avec le fait que ses parents étaient médecins et qu’il est l’aîné d’une fratrie qui l’est également? Au cours des entretiens suivants, j’aborderais la question de la vieillesse. Discret sur sa famille, il reste très attaché à la figure de sa grandmère, à qui, semble-t-il, il doit tout. Le président ne pratique guère ni la horde des frères unis pour se débarrasser du père et prendre le pouvoir à sa place, ni la bande de copains avec qui on partage les plaisirs et les idées pour changer le monde. Ne supportant pas la contestation, il n’est entouré ni d’amis ni de rivaux, mais d’affidés qui, souvent fragiles eux-mêmes, ne peuvent trouver leur place ni menacer la sienne. Sa gérontophilie réactionnelle s’accompagne d’une déploration : « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », mais est-ce de n’avoir jamais eu 20 ans lui-même qui l’a amené à imposer un confinement à toutes les autres générations pour « protéger » d’abord les personnes âgées et leur donner ensuite la priorité en termes de vaccin? Si nous avions plus de temps, nous retracerions ensemble l’enfance d’un chef placée sous le signe du féminin, entre mère et grand-mère, puis, à l’adolescence, Brigitte, qui deviendra sa femme. Le personnage du père est gommé. Pas d’affrontement ni de risque de ne pas être le seul objet d’admiration du gynécée. Macron, un OEdipe sans Créon sur son chemin ? Un fils sans père symbolique ? Chirac se réclamait de De Gaulle, Mitterrand prétendait être l’héritier lointain de Jaurès et de Blum. Macron, à défaut d’histoire politique, nous raconte-t-il son roman familial ? De même qu’il n’a pas eu à tuer le père (Hollande était si inexistant qu’il n’en eut pas besoin), il n’a pas de fils et se défie de tous ceux qui pourraient lui ravir la place de Sa Majesté l’enfant.
Peut-être finirait-il par admettre que nul n’est le « maître des horloges » ni le roi de la parole et que « le moi n’est pas maître dans sa propre maison », comme disait Freud. Alors je n’aurais pas perdu mon temps
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