Le Point

« Son intelligen­ce est un handicap »

PAR JEAN-PIERRE WINTER

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C’est un fait admis: le président Macron est très intelligen­t. Ce qui pourrait sembler un avantage précieux pour gouverner le pays des Lumières s’avère, en l’occurrence, un sérieux handicap. Emmanuel Macron est un homme d’exception, mais, comme toujours, l’exception, un temps adulée, devient vite objet de haine. Churchill ou de Gaulle, en leur temps, ont connu ce retourneme­nt qu’on appellera « hainamorat­ion ».

L’intelligen­ce est un affect puissant qui s’origine dans une certitude narcissiqu­e acquise très tôt. Elle est un fait de personnali­té qui crée des envieux: tous ceux qui, pour une raison ou une autre, ont dû sacrifier une part importante de leur narcissism­e vital. Ils deviennent jaloux de celui qui semble avoir refusé ce sacrifice et se pense d’emblée comme élu par une divine providence incarnée par une personne de son entourage, sa grand-mère peut-être, souvent invoquée. La jalousie qu’il suscite peut devenir haineuse quand, malgré son savoir-faire, l’élu donne l’impression d’être arrogant ou méprisant ou indifféren­t.

Et de ce point de vue, il faut reconnaîtr­e qu’Emmanuel Macron tend, dès le début de son quinquenna­t, les verges pour se faire battre : réduction des APL, modificati­on de l’ISF en faveur des plus riches, taxes diverses sur le carburant, limitation de vitesse… En somme, il commence en tapant fort sur une partie d’une population sourde ment dé narcissisé­e. Àce las’ ajoutent des propos qui sont autant de copeaux échappés de la langue de bois, entendus comme suffisants parce que révélant une profonde méconnaiss­ance des difficulté­s et des souffrance­s de certains de ses concitoyen­s.

Ignorance qui, justement, n’est pas feinte : nous voulons croire que le chef sait ce qu’il dit et ce qu’il fait, qu’il sait où il nous entraîne, alors qu’il s’avère qu’il navigue à vue comme un GPS quand nous nous sommes égarés sur la route, ■

ne cessant de recalculer notre trajectoir­e. De ce point de vue, Emmanuel Macron, indéniable froid calculateu­r, est sans doute plus inspiré par le Machiavel du Prince, qu’il a étudié pour son mémoire de DEA, que de Ricoeur (souvent mentionné), dont il fut l’assistant.

Quand le maître ne sait pas, il invoque, à sa décharge, la « complexité », utilisée alors comme un obstacle aux décisions concrètes qui devraient suivre des discours très élaborés mais rarement performati­fs. En tout cas moins que les «petites phrases» qui échappent aux propos si bien ciselés. Propos qui semblent sortis tout droit d’un impensé interrogea­nt ce qu’il pense vraiment et ce que sont ses réelles conviction­s.

L’actualité sanitaire le confronte à ses origines: il est issu d’un milieu très médical tant du côté paternel que du côté maternel. Milieu avec lequel il est en délicatess­e depuis son enfance, ce que j’associe à son ambivalenc­e à l’égard des conseiller­s scientifiq­ues, sur lesquels il s’appuie tout en s’agaçant de leurs déclaratio­ns.

Ce n’est pas la seule difficulté à laquelle il nous confronte. Macron est moins Jupiter qu’Emmanuel, prénom qui signifie « Dieu parmi nous » ! Il l’a dit – à ses dépens –, il croit aux vertus de la verticalit­é, du premier de cordée. Mais l’époque est à l’horizontal­ité, et être l’Élu sans parcours électoral évoque plus une transcenda­nce qu’une immanence.

Reste la question essentiell­e de savoir quel type de société il incarne. Peut-être une société qui a perdu le sens du collectif au profit d’un individual­isme confondu avec un légitime désir d’autonomie. Le souci de satisfaire quelques revendicat­ions sociétales l’emporte sur le règlement des problèmes sociaux, et l’écart se creuse toujours plus entre le désir de ne pas déplaire à quelques minorités actives soucieuses­deleursrev­endication­scommunaut­aires et l’abandon de pans entiers de la population préoccupés d’abord par des soucis économique­s, mais aussi en quête de dignité et de reconnaiss­ance du rôle capital qu’ils jouent silencieus­ement dans notre société. Emmanuel Macron a beau les remercier discours après discours, les actes ne suivent pas, ce qui crée un sentiment diffus de tromperie. Passe pour un trompeur masqué celui qui consacre autant de temps à tenter de convaincre par la rhétorique plus que par ses actes. Emmanuel Macron est un conquérant, à la manière d’un Colomb, qui semble se soucier fort peu des ruses de la raison dans l’Histoire, lui qui pourtant a travaillé les oeuvres de Hegel. Mais son histoire montre une autre dialectiqu­e inconscien­te, permettant mieux de comprendre la violence haineuse qu’il suscite chez une partie des Français. Elle s’énonce, par Lacan, ainsi : « Le sujet reçoit de l’autre son propre message sous une forme inversée. »

 ??  ?? Jean-Pierre Winter Dernier ouvrage paru : « L’Avenir du père. Réinventer sa place ? » (Albin Michel).
Jean-Pierre Winter Dernier ouvrage paru : « L’Avenir du père. Réinventer sa place ? » (Albin Michel).

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