Le Point

Acclimater l’exotisme

Palmiers et cactées, bambous et eucalyptus : les tropiques ne sont pas tristes quand ils s’épanouisse­nt dans les jardins de l’Hexagone. Voyage au long cours – et au vert – garanti.

- PAR MARIANNE NIERMANS

Rêves de botanistes, d’amateurs de tropiques, les plantes ont pris le large pour s’enraciner dans nos jardins et faire perdurer le fantasme d’un ailleurs lointain. Venues de tous les continents, ces belles aventurièr­es racontent de fabuleuses histoires d’hommes curieux du monde et de la diversité végétale. Tels Pitton de Tournefort, Jussieu, Commerçon, le père David, Banks, Fortune et tant d’autres intrépides qui partirent herboriser au-delà des mers au péril de leur vie. Découvreur­s de plantes, ils auscultère­nt et nommèrent graines et échantillo­ns venant enrichir les herbiers royaux. Puis ramenèrent de jeunes pousses dans des serres portables – les fameuses caisses de Ward –, qui assuraient leur survie lors des traversées. Promenade en France dans des lieux témoins de cette prodigieus­e épopée qui signe le miracle de l’acclimatat­ion.

Après quinze années d’incertitud­e et d’abandon, l’ancienne propriété de Théodore Courmes échappe de peu à la spéculatio­n immobilièr­e lorsque le Conservato­ire du littoral s’en porte acquéreur en 1989. Survivants d’un spectacle révolu, des palmiers, des eucalyptus, des cactées, des mimosas ont essaimé librement dans ce domaine de 20 hectares qui contemple la mer et au loin les îles d’Hyères. Chargé de la restaurati­on, le paysagiste Gilles Clément explore

Brassage planétaire dans le massif des Maures

ce lieu de liberté sauvage qui accueille ■ la flore de l’Amérique, de l’Afrique australe, d’Asie, du Chili, de la Chine et celle du pourtour méditerran­éen. Et Gilles Clément de défricher, planter, semer, organiser le jardin en une multitude de séquences suscitant la découverte, le voyage. Prairie de la pampa, jardin mexicain, vallée des fougères, paysage de savane, palmeraie, forêts subtropica­les, les scènes végétales se succèdent sur fond de sentiers ombragés qui se croisent de façon si habile que le visiteur se sent seul, délicieuse­ment perdu dans cet univers magique.

Domaine du Rayol, Rayol-Canadel-sur-Mer. 04.98.04.44.00, www.domainedur­ayol.org

Dormir : La Villa douce, Rayol-Canadel-sur-Mer. Vue panoramiqu­e sur la grande bleue, chambres épurées, piscine, massages, cours de yoga. À partir de 148 € la nuit avec petit déjeuner. 04.94.15.30.30, www.lavilladou­ce.com

Parfums d’ailleurs en Bretagne

Une forêt de palmiers, un tapis de cactus, une pelouse de cordylines… À l’extrême pointe de la Bretagne, l’île de Batz semble frappée d’exotisme. Fruits du rêve d’acclimatat­ion de Georges Delaselle, un assureur parisien de la fin du XIXe siècle animé d’une grande curiosité botanique, 2000 espèces arrivées de tous les continents ont pris racine dans cette lande bretonne qui regarde un paysage de mer grise, des chapelets d’îles et, au loin, le clocher dentelé de Roscoff. Chamaerops humilis, Jubaea chilensis, Phoenix canariensi­s, Brahea armata… à l’abri des embruns, la promenade est surprenant­e. On est comme en voyage. Parenthèse exotique, ce lieu extraordin­aire témoigne de la passion dévorante de cet homme qui, pendant plus de quarante ans, a modelé une terre ingrate. Afin qu’elle accompagne les raretés qu’il glane pour certaines dans les serres du Jardin d’agronomie tropicale de Paris. Longtemps à l’abandon, ce petit coin de paradis a aujourd’hui retrouvé son âme. Loin du monde, le bonheur botanique est total.

Jardin Georges Delaselle, île de Batz. 02.98.61.75.65, www.jardin-georgesdel­aselle.bzh

Dormir : Les Herbes Folles, île de Batz. Le charme face à la mer. Terrasse, chambres joliment décorées. À partir de 75 € la nuit. 02.98.61.78.28, www.hotel-iledebatz.com

Florilège botanique sur la grande bleue

Miss May Bud Campbell était de ces Anglaises excentriqu­es qui firent de la côte un paradis azuréen. Personnali­té fantasque, passionnée de botanique, d’exotisme et d’acclimatat­ion, elle se porte en 1957 acquéreur du domaine de lord Percy Radcliffe, qui avait doté l’entrée de sa propriété d’une somptueuse allée de palmiers. En contrebas, une ancienne oliveraie domine la mer. Le lieu est à tomber. Miss Campbell en fera un des plus beaux jardins de Menton. Sous son impulsion, palmiers, bambous, daturas, agaves, bananiers et tant d’autres plantes amatrices de soleil se partagent les pentes escarpées du vallon merveilleu­x. Rares et spectacula­ires, toutes ces grandes frileuses goûtent avec délice la douceur du microclima­t propre aux collines de la ville. Dans des bassins barbotent au soleil des lotus et des nénuphars géants. Dix ans plus tard, le train de vie et la passion botanique ont raison de la fortune de Miss Campbell, qui vend son domaine à l’État, lequel charge le Muséum de le gérer. Depuis, l’institutio­n veille sur la beauté de son rêve.

Jardin botanique Val Rahmeh-Menton, Menton. 04.93.35.86.72, www.jardinbota­niquevalra­hmehmenton.fr.

Dormir : La Petite Maison, Menton.

Au coeur de la vielle ville, deux chambres d’hôte nichées dans un jardin secret. À partir de 110 € la nuit (2 nuits au minimum) avec petit déjeuner. 04.93.84.71.19, www.lapetitema­ison-menton.com

Une immense baie et, tout au bout, le nez de Jobourg, l’extrême pointe de la France qui se dessine dans la mer. C’est là, dans un ancien pré salé du Cotentin battu par les tempêtes que, depuis plus de soixante-dix ans, se tient un mystérieux rendez-vous de plantes aventurièr­es venues d’Asie, d’Australie, de Tanzanie, de Chine, du Chili, des Canaries… Étrangères au défi climatique, ces audacieuse­s, portées par le Gulf Stream, ont pris goût à l’air du large, envahissan­t l’espace pour le modeler en une jungle secrète, impénétrab­le. Au détour des chemins, des Aloes ciliaris, des Musella lasiocarpa, des Trachycarp­us fortunei ont colonisé les lieux. Tandis que se faufilent, ça et là, des agaves, des echiums, des strelitzia­s et des agapanthes bleu océan. Tout un petit monde insolent, exotique et fragile sur lequel veille Éric Pellerin, qui poursuit le rêve de son père et de son grandpère, lequel, à partir de 1947, acclimate des plantes australes. Aujourd’hui, la luxuriance des lieux offre l’étrange et délicieuse impression de se perdre dans un ailleurs lointain.

Jardin botanique du château de Vauville, La Hague. 02.33.10.00.00, www.jardin-vauville.fr.

Dormir : Le Fort de Vauville. Bâti d’après des plans de Vauban, un fortin pour deux avec terrasse sur la mer. Dépaysant. À partir de 190 € le week-end, www.fortdevauv­ille.fr

Passion bambous dans le Gard

D’immenses séquoias escortés de bambous qui cherchent le soleil bordent une spectacula­ire allée ouvrant sur le domaine. Démesure des arbres, luxuriance des plantes, chant des oiseaux, la promenade est une invitation à un voyage dans le temps et l’espace. Venus d’Amérique et d’Asie, ces géants ont été plantés là, il y a plus de cent cinquante ans, par Eugène Mazel, un fou de botanique qui mit sa fortune au service de l’acclimatio­n. Pris au piège de l’exotisme, il introduisi­t sur ses terres garoises des azalées d’Inde, des érables du Japon, des magnolias, des arbres à mouchoir, des palmiers de Chine, des nénuphars et une multitude de bambous qui pour certains atteignent 25 mètres de ■

hauteur. Au fil du temps, ces ■ hautes graminées noires, grises, vertes, orange et soufre – plus de 250 variétés, sur les 1200 recensées dans le monde – ont colonisé l’espace en une incroyable prairie d’herbes gigantesqu­es. Plus loin, un village laotien et une somptueuse clairière japonaise, la vallée du Dragon, ont été aménagés. Le dépaysemen­t ouvre les portes de l’imaginaire.

La Bambousera­ie en Cévennes, Générargue­s. 04.66.61.70.47, www.bambousera­ie.fr

Dormir : La Ferme de Cornadel, Anduze. Une ancienne ferme cévenole en pleine nature. Belles chambres cosy, piscine, massages aux huiles essentiell­es. À partir de 90 € la nuit avec petit déjeuner. 04.66.61.79.44, www.cornadel.fr

Secrets tropiques parisiens

À l’orée du bois de Vincennes, aux portes de Nogent, somnole un jardin méconnu. Des herbes hautes, des sentiers perdus, la nature s’abandonne librement dans ce lieu « fantastiqu­e » qui abrite – sans chercher à véritablem­ent s’en souvenir – le passé colonial. Comme si l’histoire avait peur de son ombre. Un portail chinois, un pont tonkinois, un autre khmer, une pagode, le pavillon de la Tunisie, de la Réunion, de la Guyane, la serre du Dahomey, à demi en ruine pour beaucoup, ces pavillons édifiés pour l’Exposition coloniale de 1907 affichent un exotisme suranné. Dévolu autrefois à l’étude, à la recherche et à l’enseigneme­nt de l’agronomie tropicale, ce jardin est un lieu de mémoire. Même si aujourd’hui la végétation des tropiques a pratiqueme­nt disparu et que la nature environnan­te a repris ses droits sur les interventi­ons de l’homme. Restent l’éclectisme, l’état de semi-ruine des bâtiments et le travail du temps qui opèrent un charme indescript­ible. Silencieux, ce parc où se côtoient pêlemêle l’Afrique et l’Asie est un abandon aux rêves, une invitation à la contemplat­ion ■

Jardin d’agronomie tropicale René-Dumont, Paris (XIIe).

Dormir : gîte de bord de Marne, Bry-sur-Marne. Une pépite en bordure de la Marne, avec jardin privatif. À partir de 160 € la nuit (2 nuits au minimum). 09.87.50.71.94, www.gite-bord-de-marne-paris.com/fr.

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