Reporter son projet, oui… à condition d’en avoir un autre
Pour réaliser son rêve, il peut être judicieux de le retarder. Mais il faut éviter le trou dans son CV.
C’est ce qu’on appelle faire contre mauvaise fortune bon coeur. Il y a quelques mois, lorsque la crise du Covid a éclaté, Anaëlle Bourdet terminait un triple diplôme à l’Inseec, en partenariat avec l’université de Linköping, en Suède, et la DePaul University de Chicago. La jeune femme projetait de rester aux États-Unis et d’y trouver un emploi. Mais la situation sanitaire l’a obligée à rentrer en France et à revoir ses ambitions. « Chercher du travail en France revenait à abandonner mon rêve d’aller vivre aux États-Unis. J’ai donc envisagé une manière de patienter jusqu’à la fin de la crise intelligemment », explique la jeune femme de 22 ans, qui a opté pour une année d’études supplémentaire. Et si son choix s’est porté vers un MSc international business management à l’Inseec, c’est parce que ce diplôme lui permettait de compléter sa formation tout en lui assurant de décrocher un volontariat international en entreprise (VIE) outre-Atlantique sans trop de difficultés malgré la crise.
Reporter son entrée sur le marché du travail en attendant des jours meilleurs ? Alors que la crise s’éternise, la stratégie a le vent en poupe dans les écoles de commerce. Leurs services carrière sont de plus en plus sollicités sur le sujet. « Les étudiants sont inquiets. Un sur deux s’interroge sur son avenir. Ils n’arrivent plus à se projeter et envisagent toutes les possibilités », indique le directeur général de l’Essca, Jean Charroin.
Mais cette stratégie est-elle la bonne ? «Tout dépend du secteur visé. Si votre rêve est de travailler dans des secteurs fortement touchés par la crise, comme l’aéronautique ou l’hôtellerie, attendre des jours meilleurs semble tout à fait judicieux », poursuit le DG de l’école angevine. À condition, bien sûr, de mettre ce temps à profit pour acquérir de nouvelles compétences. « Le pire serait de rester inactif pendant une année à attendre un emploi et d’avoir un trou dans son CV », met en garde Alexandre de Navailles, directeur général de Kedge Business School.
Masters, mastères spécialisés, MSc… les possibilités offertes par les écoles de commerce sont nombreuses. Et représentent « autant d’occasions de se différencier sur le marché du travail », observe Franck Chéron, associé conseil capital humain chez Deloitte. Une bonne option, donc, si vous en avez les moyens. Car les frais peuvent varier selon le diplôme et les spécialités de 3 000 à plus de 34 000 euros.
Année de césure. Une autre stratégie peut être de prolonger sa formation par un stage ou un apprentissage. Accessibles dans le cadre d’une année de césure et indemnisés, ces derniers apparaissent bien plus faciles à financer qu’une nouvelle année d’études. Soutenus par l’État dans le cadre du plan de relance, les contrats d’apprentissage sont aussi plus faciles à trouver qu’un emploi. Et toujours payants sur le long terme. « Si, demain, on doit choisir entre trois profils d’étudiants en école de commerce, dont un alternant qui nous donne entière satisfaction, l’alternant a 99 % de chances de rentrer dans l’entreprise, qu’il connaît déjà, alors que les deux autres ont moins de chances d’être recrutés puisqu’on n’a pas pu travailler avec eux et créer des affinités », indique Franck Chéron.
Pourquoi ne pas opter pour une année sabbatique ? « C’est le moment de conférer à son CV une expérience différenciante ! Pourquoi ne pas partir dans une ferme française, construire une école en Afrique ou encore être jeune fille ou jeune garçon au pair ? » lance Mathias Emmerich, président exécutif d’Inseec U. Encore fantaisiste il y a quelques semaines, cette option redevient envisageable avec l’arrivée des vaccins. L’occasion de développer, sur le terrain, de nouvelles compétences. « Si un étudiant ne maîtrise pas l’anglais et qu’il revient au bout d’un an en étant bilingue, il n’aura pas perdu son année. »
Garder un peu de flexibilité. Attention tout de même à ne pas vous fermer des portes trop rapidement ou de manière trop catégorique. « Il n’y a pas de dévaluation du diplôme. Ce n’est pas sur une année que le capital intellectuel se développe mais plutôt sur les dix dernières années d’études », rassure Franck Chéron. Par ailleurs, garder un peu de flexibilité peut s’avérer gagnant. « Les candidats doivent parfois adapter leurs attentes au marché, par exemple en revoyant les postes ou les fonctions auxquels ils souhaitent accéder », préconise ainsi Anne-Laure Despeaux, directrice marque employeur chez LVMH.
Un conseil approuvé par Jean Charroin, qui a travaillé pendant dix ans dans l’industrie avant de prendre la direction de l’Essca : « Lorsque je suis arrivé sur le marché du travail, en 1993, le contexte économique n’était pas très favorable. Malgré mon diplôme d’ingénieur et mon statut de cadre, j’ai décidé d’accepter un poste à mi-chemin entre celui d’un ingénieur et d’un technicien supérieur. Cela m’a permis d’accumuler une expérience de terrain très concrète, de suivre en parallèle des études de comptabilité financière à distance et de gravir les échelons beaucoup plus rapidement. »
Un scénario d’autant plus réaliste que tous les secteurs ne sont pas concernés par la crise. Certains, comme la finance ou le digital, affichent même une bonne santé. Quant aux multinationales et grandes entreprises comme LVMH ou Deloitte, elles continuent globalement à embaucher.
En tout état de cause, avant de décider de différer son entrée sur le marché du travail, mieux vaut bien réfléchir, prévient Herbert Castéran, directeur général de l’EM Strasbourg : « Les recruteurs peuvent s’interroger sur les motivations qui vous ont poussé à faire une année d’études en plus. S’il apparaît que la raison en est la crainte d’affronter la crise, cela peut donner de vous une image détériorée. » À méditer avant de faire son choix
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« Pourquoi ne pas partir dans une ferme française ou construire une école en Afrique ? » M. Emmerich (Inseec U)