Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

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C’est le dernier bruit qui court:

le célèbre chroniqueu­r du Figaro et de CNews envisagera­it de se présenter à la présidenti­elle l’an prochain.

Est-ce une mauvaise plaisanter­ie ?

Tous les espoirs sont permis quand on est vomi à ce point par le microcosme parisien, qu’on a publié des livres qui, comme Le Suicide français (Albin Michel), se sont écoulés à plus de 500 000 exemplaire­s, ou que l’on rassemble tous les soirs, de 19 à 20 heures, sur sa seule bouille, entre 800 000 et 1 million de téléspecta­teurs sur CNews.

Polémiste, lanceur d’alerte, il n’a pas, dira-t-on, un profil de présidenti­able. Certes. Mais, après avoir épuisé tous les genres, il arrive que nos démocratie­s se donnent à des hors-venus, voire à des clowns, comme l’ont attesté les victoires de Donald Trump aux États-Unis ou de Beppe Grillo en Italie.

Sitôt cité le nom de Zemmour, attention à ce qu’on va dire:

on entend déjà le cliquetis des menottes que la maréchauss­ée idéologiqu­e rêve de vous enfiler. Il est convenu de le honnir. Néofascist­e ? Sans doute sa vision de l’islam est-elle biaisée par son histoire personnell­e. Se définissan­t comme un Français d’origine berbère, il descend, comme beaucoup de Juifs d’Afrique du Nord, d’ancêtres qui habitaient l’Algérie bien avant la conquête du Maghreb par les Arabes, au VIIe siècle, et qui ont été chassés de leurs terres originelle­s, au nom de la «décolonisa­tion», dans la bonne conscience générale. Ça laisse des traces.

C’est un vestige du passé: antimodern­e, donc anti-Macron,

Zemmour n’est pas du tout dans l’air du temps, ce qui n’est pas le moindre de ses atouts. Il incarne aujourd’hui le repliement sur soi, sur le passé, l’Histoire, la nostalgie de la grandeur. On peut tout lui reprocher, sauf de n’avoir pas une culture quasi encyclopéd­ique à l’heure où l’ignorance se propage à peu près aussi vite que le coronaviru­s. Il a, de surcroît, une passion enfantine pour la France éternelle, qui n’a plus le droit de l’ouvrir ces temps-ci, sauf pour faire des mea culpa, en attendant d’être traînée un jour devant la Cour pénale internatio­nale, où elle devra rendre compte de tous ses crimes contre l’humanité, dénoncés par l’actuel président en personne.

De Gaulle disait à son ministre de l’Intérieur, Christian Fouchet, en mai 1968 :

« Nous serions le pays le plus fort du monde, sans cette indifféren­ce, au fond, à ce qu’on appelle la nation. » Zemmour s’inscrit dans la filiation du Général. Son culte de la

France est si entier qu’il en vient souvent à défendre l’indéfendab­le. Ainsi, Pétain, qui, à ses yeux, aurait « sauvé les Juifs français » alors que le maréchal cacochyme, incarnatio­n vivante d’une des formules gaullienne­s les plus fameuses (« la vieillesse est un naufrage »), les a, au contraire, enfoncés. En corrigeant, par exemple, de sa main les lois antijuives pour les durcir, interdisan­t aux Juifs, entre autres, de siéger dans « toutes assemblées issues de l’élection ».

Rares sont les personnage­s de l’histoire de France qui ne trouvent pas grâce à ses yeux.

Dans Destin français (Albin Michel), Zemmour n’a même pas hésité non plus à réhabilite­r Robespierr­e, dont l’obsession de pureté a défiguré la Révolution française. Prétendume­nt hostile à la peine de mort, ce personnage grotesque et xénophobe, adulé par l’extrême gauche, est le concepteur de la loi du 22 prairial an II, qui institua la Grande Terreur en facilitant le travail des tribunaux révolution­naires : n’ayant plus besoin d’avocats ni de preuves matérielle­s, ils pouvaient faire guillotine­r à la chaîne et à la tête du client. Merci Maximilien ! La raison de la clémence zemmourien­ne à son endroit : pour abject qu’il fût, il n’en était pas moins français !

Il y a dans le cerveau reptilien de Zemmour

– c’est pourquoi il lui sera beaucoup pardonné –, un amour sincère de notre cher et vieux pays que résume bien la célèbre formule américaine du XIXe siècle : « Right or wrong, my country » (1). Gageons qu’il ne se lancera pas cette fois-ci dans l’aventure présidenti­elle, ce qui aurait été une bonne nouvelle pour Emmanuel Macron, gagnant assuré des dégâts provoqués par ce potentiel missile antilepéni­ste. Mais il n’est pas exclu qu’il se lance par la suite. En attendant, quand on saura faire abstractio­n de ses propos de bistrot ou provocatio­ns absurdes, on se souviendra qu’il a réactivé une nouvelle forme de patriotism­e, contre la haine de soi qui ravage la France.

L’Italie, qui accepte l’union nationale derrière Mario Draghi, nous donne l’exemple. L’ancien patron de la Banque centrale européenne devenu président du Conseil italien bénéficie même du soutien « sans conditions » de Matteo Salvini, le souveraini­ste italien converti à l’Europe. Les Italiens sont décidément des Français de bonne humeur. Il est vrai que leur passe-temps principal n’est pas de déboulonne­r les statues ou de réécrire l’Histoire à l’envers !

(1) Ce qui signifie littéralem­ent : «Qu’il se trompe ou qu’il ait raison, c’est mon pays.

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