L’éditorial d’Étienne Gernelle
C’est sûr, le danger, c’est lui. Didier Lemaire, professeur du lycée de la Plaine de Neauphle, à Trappes, est tellement accablé par certains médias parisiens que quiconque aurait pris l’histoire en cours de route se demanderait logiquement ce qu’il a pu faire de si mal. Quel est son crime ? Le voici : Didier Lemaire s’est alarmé, dans Le Point, puis sur un certain nombre de plateaux de télévision, de la progression de l’islamisme à Trappes. « On n’a plus beaucoup de temps avant
que cela dégénère », dit-il, considérant même la ville comme « perdue ». Ses conclusions sont virulentes, exprimées avec les tripes, mais le constat est-il faux ?
C’est ce qu’ont prétendu, avec un empressement grégaire, les prêtres habituels de l’autruchisme. Le Monde, Mediapart et
Libération y sont allés de leur «contre-enquête» pour tenter de décrédibiliser Didier Lemaire. Non sans oeillères. Curieusement, ces articles, pourtant mis à jour avec les événements, ont oublié de mentionner ce communiqué des professeurs du lycée de la Plaine de
Neauphle, lequel disait ceci : « L’assassinat de Samuel Paty a exercé une pression supplémentaire en mettant au jour le positionnement de certains élèves, notamment dans le rapport ambivalent qui se noue entre leur foi, la loi et la liberté d’expression. » Il y avait là une information importante, mais non, cela n’a pas intéressé. Et le communiqué de poursuivre : « Notre collègue Didier Lemaire s’est exposé à titre personnel pour défendre nos élèves contre l’emprise du radicalisme, emprise dont nous percevons régulièrement les échos. La sincérité de son engagement ne fait aucun doute pour nous, qui avons travaillé avec lui au quotidien. » Mais bon, pour les « contre-enquêteurs » du Monde, de Mediapart ou de Libération, l’avis des professeurs du lycée, pourtant au centre de l’affaire, ne méritait pas d’être relevé.
Bien évidemment, rien n’empêche quiconque d’apporter d’autres témoignages, ou une vision des choses différente. Et même de se préoccuper de l’attractivité ou de l’image de la ville de Trappes, qui a le droit d’espérer ! Mais leur application à taire ce qui leur déplaît en dit long sur ces déontologues autoproclamés.
Didier Lemaire a aussi été flagellé pour avoir dit qu’il n’y avait plus de salons de coiffure mixtes à Trappes. Ce qui est en effet inexact, il y en aurait finalement quatre sur une grosse quinzaine. Il n’est pas sûr que cette approximation invalide le propos tout entier… De toute façon, la coiffure n’est sûrement pas le coeur du sujet.
La réalité de Trappes a été abondamment décrite. Notamment par Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, journalistes
au Monde, dans un livre intitulé La Communauté (1). Il y était question, entre autres, des 67 habitants de la ville partis faire le djihad en Syrie ou en Irak. Tout cela est difficile à nier. Alors les courageux détracteurs de Didier Lemaire, dont le préfet des Yvelines, évoquent pudiquement des « problèmes » ou un « terrain difficile ».
Et ces « problèmes » seraient plutôt à évoquer en sourdine. Des politiques ont emboîté le pas aux médias parisiens pour s’en prendre à l’irritant prof de philo. Parmi eux, Benoît Hamon, dont le parti, Génération.s, est aussi celui d’Ali Rabeh, le maire de Trappes (désormais sous protection policière, comme Didier Lemaire), ou encore Audrey Pulvar, candidate aux régionales en Île-de-France. Il est visiblement pour eux de bons et de mauvais lanceurs d’alerte.
Les partisans de la politique de l’autruche sont parfois pris à revers par les faits. Il y a quelques mois, Jean-Pierre Obin publiait un livre qui a fait grand bruit : Comment on
a laissé l’islamisme pénétrer l’école (2). Le Monde lui a consacré un article dont le titre était : « Islamisme à l’école : retrouver le sens des proportions». Il y était reproché à Obin une « appréciation dramatisante » de la situation. Une semaine plus tard, Samuel Paty était décapité.
Aujourd’hui encore, à chacun sa priorité : s’inquiéter de « l’emprise du radicalisme » sur les élèves, selon l’expression des professeurs de la Plaine de Neauphle, ou régler son compte à Didier Lemaire. Cette chasse au prof intempestif aura comme conséquence, volontaire ou non, d’intimider ceux qui oseraient briser cette loi de la sourdine. En oubliant au passage que les premières victimes de l’islamisme sont des musulmans. Dans le monde, c’est évident, et même en France, où les immigrés et descendants d’immigrés de pays musulmans sont souvent en première ligne dans les quartiers où s’exercent les pressions et interdits des fondamentalistes. Mais pour eux, ce serait moins grave? Ou dans l’ordre des choses ? De la pudeur au mépris, il n’y a qu’un pas
À chacun sa priorité : s’inquiéter de « l’emprise du radicalisme » sur les élèves, selon l’expression des professeurs de la Plaine de Neauphle, ou régler son compte à Didier Lemaire.