La chronique de Patrick Besson
Ces derniers jours, je remarque, chez mes amis de plus de 75 ans, un petit air de triomphe. Au contraire de moi et de mes camarades de moins de 75 ans, ils ont pu se faire vacciner contre le Covid-19 ou vont l’être dans les prochains jours. Je leur trouve soudain une majesté tranquille. Le vaccin, quelle que soit son origine, les a comme anoblis. Pour la première fois depuis qu’ils l’ont, leur grand âge, qui était pour beaucoup d’entre eux une honte ou du moins un handicap, est devenu un privilège, la clé pour échapper à l’horreur dans laquelle ils ont vécu en 2020. Le septuagénaire vacciné regarde de haut le sexagénaire hospitalisé, le quinquagénaire testé positif, le quadragénaire cas contact, le trentenaire asymptomatique. Tout juste s’il consent, dans la rue, à porter ce masque qui ne lui sert plus à rien et qui a, par surcroît, embué pendant près d’une année ses lunettes de presbyte ou d’hypermétrope. C’est bien simple, il voyait tout flou. Lui qui restait cloîtré dans son appartement ou sa maison de campagne, refusant avec tristesse mais fermeté de voir ses enfants, ses petits-enfants et, pour les plus âgés d’entre eux, ses arrière-petitsenfants, le voilà redevenu le centre de la famille, couvrant les uns et les autres de caresses et de cadeaux. Il redécouvre le plaisir de marcher dans les rues, même les plus populeuses, sans souci de contamination. Sa démarche est royale, voire impériale. À toutes ces belles jeunes femmes qui pressent le pas sur leurs petits souliers à hauts talons il jette des regards triomphants de vacciné. Il n’hésite pas, dans les magasins, notamment ces pharmacies qui ont été pendant des mois sa seule sortie culturelle, à faire des remarques amusées, ironiques, goguenardes, sur l’incurie de nos gouvernants depuis le début de l’épidémie. Son sujet préféré : le vaccin anti-Covid. Il en parle à son aise, étant en quelque sorte partie prenante : il a été vacciné. Renseignement glissé dans l’assistance avec cet air de rien qu’ont souvent les gens ne manquant pas d’air. Entre les non-vaccinés et lui, il y a désormais une distance qu’il fait mine de ne pas remarquer alors qu’elle imprègne chacun de ses regards euphoriques et, quand il enlève son masque, de ses sourires enchantés.
Mes chers Henri, écrivain, et Jean-Pierre, avocat, ont tous deux plus de 80 ans. Le premier a été vacciné route des Refuzniks, à Sarcelles, par une infirmière originaire, comme lui, de RDC, et qui avait lu tous ses livres. L’autre l’a été à la mairie du 14e arrondissement de Paris. Leur bonheur et leur fierté d’appartenir à la classe privilégiée des vaccinés s’expriment dans chacun de leurs messages et dans la plupart de nos conversations téléphoniques. Ils n’hésitent plus, tels de grands seigneurs en vadrouille sur leurs terres, à déjeuner chez eux avec nous ou chez nous avec qui on veut. Comme le chevalier Bayard, ils n’ont peur de rien. Le vaccin est à la fois leur armure et leur épée. La vieillesse, en leur offrant le vaccin, les a rajeunis. Ils se voyaient sur le Titanic, les voici à bord du TGV. Henri se dirigeant dans le soleil vers la station de taxis Vavin, Jean-Pierre montant sur sa grosse moto cigarette au bec : deux beaux souvenirs gravés dans ma mémoire de nonvacciné
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Comme le chevalier Bayard, ils n’ont peur de rien. Le vaccin est à la fois leur armure et leur épée. La vieillesse, en leur offrant le vaccin, les a rajeunis. Ils se voyaient sur le « Titanic », les voici à bord du TGV.