Les éditoriaux de Luc de Barochez, Pierre-Antoine Delhommais, Nicolas Baverez
Le projet ambitieux de Mario Draghi pour relancer l’Italie souligne, en creux, combien la France a elle aussi un besoin vital de se réformer.
Le plus européen des Italiens a quitté, à 73 ans, une retraite discrète pour mettre son autorité morale et son expertise au service de son pays. L’Italie a trouvé en Mario Draghi la personne providentielle qui peut l’aider à sortir d’une stagnation mortifère. À la tête d’un gouvernement d’union nationale, celui qui a sauvé l’euro il y a dix ans pendant la tourmente financière est chargé d’offrir un nouveau départ à la péninsule après le choc de la crise sanitaire.
Fort d’une manne de 209 milliards d’euros allouée à l’Italie par le plan de relance européen, le nouveau président du Conseil entend investir massivement dans l’éducation et la formation, accélérer la transition numérique, supprimer les obstacles qui découragent l’entrepreneuriat et dissuadent l’investissement, moderniser l’administration et la justice et développer les énergies renouvelables. Le temps imparti à « Super Mario » est compté. Des élections générales sont prévues, au plus tard, début 2023. Mais il a eu le temps de réfléchir à son programme. Lorsqu’il présidait la Banque centrale européenne, de 2011 à 2019, il préconisait des réformes structurelles profondes pour débloquer le potentiel de croissance des pays de la zone euro.
À l’époque, il prêchait dans le désert. Les démagogues tenaient le haut du pavé à Rome en vantant les vertus supposées d’une annulation des bons du Trésor italiens massivement achetés par la BCE, ou même d’une sortie de l’euro. Qu’ils soient antisystème de gauche ou souverainistes de droite, ces politiciens se sont trouvés fort dépourvus lorsque la pandémie les a ramenés à la réalité. Le Covid s’est soldé en Italie par une chute du produit intérieur brut de 8,8 % l’an dernier, un bilan sanitaire qui frôle les 100 000 morts, la perte de près de 500 000 emplois et une dette publique de 160 % du PIB. Le désastre est tel que ces mêmes politiciens italiens ont rallié l’homme qui incarne, plus qu’aucun autre, l’élite européiste mondialisée qu’ils critiquent tant. Champions du reniement, ils ont tous rejoint son gouvernement, à l’exception du parti postfasciste Fratelli d’Italia.
Le même débat irresponsable qui a conduit l’Italie à l’impasse politique et à la faillite économique prospère en France à l’approche de l’élection présidentielle de 2022. Il est question de faire disparaître d’un coup de baguette magique la part considérable de la dette publique française qui est détenue par la BCE – plus de 600 milliards d’euros ! L’objectif de ceux qui
La dépense publique française est la plus élevée de l’OCDE, alors même que l’efficacité de l’État ne cesse de diminuer.
agitent cette poudre de perlimpinpin est de mettre sous le tapis le difficile débat, qu’il faudrait pourtant mener, sur la dépense publique française. Elle est devenue la plus élevée de tous les pays de l’OCDE, alors même que l’efficacité de l’État ne cesse de diminuer.
La France suit, avec quelques années de décalage, la pente italienne. Les symptômes sont les mêmes: dette galopante, bureaucratie incapable de s’adapter, émigration des cerveaux, système éducatif sclérosé, retraites trop précoces, faible productivité, habitudes de népotisme et de clientélisme, progression des forces populistes à gauche comme à droite, etc. L’Hexagone souffre même de certains handicaps plus lourds que ceux de l’Italie. Les comptes publics sont mieux gérés à Rome, qui parvenait, avant la pandémie, à dégager chaque année un excédent budgétaire primaire (avant remboursement de la dette). L’Italie a également, dans le nord du pays, un tissu industriel parfois encore capable de faire jeu égal avec l’Allemagne. Et le mille-feuille administratif français est d’une complexité sans équivalent. On a pu le découvrir récemment dans le domaine de la santé publique, où s’empilent dans la plus grande déresponsabilisation conseils, hautes autorités, directions générales et agences en tout genre.
La France a un intérêt direct à la réussite de Mario Draghi. Ce n’est pas seulement l’avenir de l’Italie qui est en jeu, c’est aussi celui du plan de relance européen, fondé, comme les dirigeants français le réclament depuis longtemps, sur une solidarité accrue entre les États membres de l’Union européenne. L’emprunt en commun ne pourra pas être renouvelé dans le futur si l’argent distribué ne sert pas à financer de vraies réformes structurelles et des investissements d’avenir. En Italie, on ne sait pas encore si l’opération sera un succès, mais, au moins, elle est engagée. Et dans l’Hexagone ? Qui mènera les réformes dont le pays a besoin pour sortir de la régression nationale ? On cherche en vain le Mario Draghi français
■