David Lisnard : « Macron-Le Pen, quel triste duel ! »
De plus en plus écouté à droite, le maire de Cannes juge sévèrement l’action du chef de l’État.
Pour une droite en quête d’un champion et en panne d’une doctrine précise, à l’approche de la présidentielle, toutes les bonnes volontés sont à prendre. En voici une, à suivre de près. Le quinquagénaire David Lisnard est un politique charpenté et aguerri : maire de Cannes depuis 2014 – après avoir bataillé pour s’affranchir de l’inamovible Bernard Brochand et des appétits du clan Tabarot –, il a été réélu en 2020 dès le premier tour avec… 88 % des voix ; il a été l’un des porte-parole du candidat Fillon à la présidentielle de 2017, et il est aujourd’hui celui de l’Association des maires de France (AMF). C’est un élu de terrain, mais aussi un homme de dossiers, expert en finances publiques et un politique de convictions passionné par le combat d’idées. De plus en plus écouté, ce marathonien affûté creuse tranquillement son sillon ; il est l’un de ceux qui vont compter dans les mois qui viennent.
Le Point: Quel regard portez-vous sur la pratique du pouvoir par Emmanuel Macron depuis un an? A-t-il changé sous l’effet de la crise?
David Lisnard: La façon de gouverner me semble la même. Diriger le pays est bien sûr une mission ardue, surtout dans cette période. Mais les difficultés du pouvoir sont anciennes. N’oublions pas, entre autres, la période dite des Gilets jaunes et ce qui fut appelé le « grand débat », qui fut plutôt un très grand monologue. Pour quelles suites concrètes ? Je constate plus largement que nous retrouvons dans la crise actuelle les caractéristiques de l’échec politique français de ces dernières années. Il manque d’une part
une direction et une solidité politiques porteuses de sens et d’avenir, d’autre part de la simplicité pragmatique dans l’action quotidienne de l’État.
De quelle manière cette crise est-elle un révélateur de l’impuissance publique?
Dans le pays qui a les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques les plus élevés de l’OCDE – respectivement 46 % et 56 % du PIB, avant le Covid-19 –, nous aurions pu attendre mieux que la carence de tout ce qui était nécessaire et relevait de l’État. Où va l’argent de nos impôts et de nos cotisations ? Dans une administration à qui on demande de multiplier les normes, procédures, obligations et interdictions a priori, et qui s’éloigne de sa mission de service du public comme de sanction a posteriori de ceux qui ne respectent pas les règles essentielles. C’est vrai dans tous les domaines, et cela génère la défiance et la colère populaires, car l’injustice en résulte. Plus la crise est intense, plus on retrouve le sens de la politique, ce pour quoi elle a été inventée : protéger le groupe et le projeter. Dans cette crise, de façon factuelle, on observe une défaillance du pouvoir exécutif : des prises de décision sont apparues erratiques, chaotiques, contradictoires, ce qui pose un problème immédiat de compétence. Parallèlement, cette crise a souligné un problème plus structurel et ancien, qui est l’inadaptation de l’appareil d’État aux réalités.
Sans un État solide, les effets de la crise n’auraient-ils pas été plus terribles?
L’État est la colonne vertébrale de notre nation depuis un processus qui a commencé au Xe siècle. Je suis très attaché à un État fort résultant du contrat social, donc puissant sur le régalien : la sécurité intérieure et extérieure, la justice comme institution et comme valeur, la diplomatie. Un État fort au XXIe siècle, c’est aussi celui qui garantit la qualité de l’éducation, l’égalité des chances et veille aux intérêts stratégiques de la nation. Or j’ai rappelé les défaillances concrètes sur des choses simples. Regardez la vaccination, qui est avant tout une question d’organisation, comme nous avions su le faire par le passé et comme les autres pays ont su le faire. En France, la responsable logistique n’a été désignée qu’au mois de janvier, quinze jours après le lancement de la campagne ! On nous a bombardés de grands principes, mais aucune organisation logistique n’avait été mise en place. Ces dysfonctionnements opérationnels révèlent un problème plus profond, à la fois politique et administratif. Ils mettent en lumière un échec français. Atrophie de la recherche publique, panne de la production pharmaceutique, ratés dans l’accès aux vaccins : il faut dresser une analyse politique pour tirer les leçons de ce déclin français, qui n’est pas uniquement dû à ce pouvoir, et des défaillances actuelles, qui, elles, lui incombent. Les choses doivent être vues en face – c’est un préalable. Et la réalité est le déclassement de notre industrie pharmaceutique en dix ans seulement, comme tant d’autres secteurs stratégiques, le surpoids bureaucratique de l’appareil d’État, les carences en équipements de protection des soignants et le manque de matériel dans les hôpitaux, le décalage entre nos élites politico-administratives et le reste de la société, notamment le monde du petit commerce, celui de la culture aussi, les secteurs décisifs du tourisme et de l’événementiel, les étudiants, et tant d’autres Français.
Vous préconisez un projet de performance publique pour la prochaine présidentielle. En quoi consisterait-il?
Comme l’écrivait Benjamin Constant, de « gouvernement », « il n’en faut point hors de sa sphère, mais, dans cette sphère, il ne saurait en exister trop». Notre fonctionnement démocratique est en dérive du fait de l’hyperbureaucratie et de la dilution dans les responsabilités. Notre pays est celui qui ponctionne le plus d’impôts et de charges, et il ne connaît pas de budget à l’équilibre depuis quarante-sept ans. Pourquoi ? Le système connaît un triple échec : des surcoûts pour les contribuables, de mauvaises conditions de travail pour les agents parmi les moins bien payés et équipés d’Europe et un service dont la qualité est dégradée pour les usagers. Il devient donc urgent d’initier à nouveau un cercle vertueux, qui passe par la performance publique. Nous nous approchons d’une échéance qui consiste à désigner un chef de l’État et son gouvernement. Dans cette optique-là, il est normal de s’interroger sur la gestion de cet État, d’autant plus quand celui-ci, comme le pointe l’essayiste Mathieu Laine, joue les « nounous » pour ses administrés, s’occupant de tout, mais mal. Notre État multiplie les interdits généraux mais il est souvent incapable de faire respecter des règles essentielles. Il est à la fois obèse, omnipotent et en état de faiblesse. Quand l’État est faible pour réprimer l’abus de quelques-uns, il a tendance à interdire l’usage pour tous. Ce travers que nous subissons depuis quarante ans apparaît au grand jour dans cette crise.
« On observe une défaillance du pouvoir exécutif : des prises de décision sont apparues erratiques, ce qui pose un problème de compétence. »
En refusant un reconfinement, Emmanuel Macron n’a-t-il pas repris la main sur ce que certains ont désigné comme une «technocratie sanitaire»?
Le politique n’a perdu la main que lorsqu’il l’a voulu. Et il s’est rendu prisonnier d’une spirale de contre-performance. Les causes ? Une bureaucratie sclérosante que tout décideur affronte tous les jours et qui fait, par exemple, que l’hôpital français connaît 30 % de frais administratifs de plus que l’allemand, pour comparer notre situation avec celle d’un pays fortement administré ; excès renforcés par l’installation d’une oligarchie d’État qui s’est enkystée. Autre entrave, ce petit théâtre politique dont parlait déjà le sociologue Georges Balandier et qui s’est amplifié avec les réseaux sociaux et l’info continue, où l’on est tenu d’exister par l’émotion, la surenchère, la polémique. Le phénomène s’est accentué pendant cette crise avec ces prises de parole solennelles du président de la République au cours desquelles ministres, préfets et élus apprenaient devant leur écran de télévision les décisions qu’ils avaient à appliquer. Les responsables reçoivent les décrets d’application après la date annoncée d’entrée en vigueur des mesures ! Emmanuel Macron a bien fait de décider qu’il n’y aurait pas de reconfinement au moment où il l’a fait car, dans le grand silence provoqué par l’arrêt de l’activité, l’absence de stratégie sanitaire serait devenue visible.
Que préconisez-vous pour en finir avec l’État nounou?
La clé, c’est de recréer une société de la responsabilité en s’appuyant sur la liberté et la confiance, qui sont les fondamentaux de la performance. Je vois trois objectifs majeurs à porter dans les prochains mois. D’abord, comment rendre la société plus créatrice, donc plus prospère ? Ensuite, comment rendre l’État plus fort sur ses missions, donc plus protecteur sans être infantilisant ? On peut en faire un outil de la compétitivité de la France en misant sur la recherche, l’éducation, les politiques stratégiques, en rapprochant la recherche et développement et le processus industriel en matière de défense et d’énergie, en créant, comme le préconise notamment l’économiste Philippe Aghion, une Darpa [la Defense Advanced Research Projects Agency est une agence du département américain de la Défense, NDLR] à la française et un réseau européen coopératif. De même en matière de santé en nous dotant de l’équivalent de la Barda [Biomedical Advanced Research and Development Authority, NDLR] aux États-Unis. Autant d’investissements stratégiques qui peuvent être des leviers de développement et de souveraineté, avec un système de cotisations retraites réorienté vers la capitalisation des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Dernier objectif : faire une nation soudée dans un pays où la justice s’exerce, où l’on sanctionne les voyous et les dealers, mais où l’on laisse les commerces ouvrir. C’est le défi du régalien et de l’accès de chaque enfant à la culture et à l’instruction.
C’est de la responsabilité du politique!
Le problème, c’est qu’il est bien plus flatteur pour un élu d’annoncer de grandes mesures que de s’occuper de l’exécution de celles qui existent. On est dans l’un des pays qui légifère, codifie le plus au monde. Il sort en moyenne 1 800 décrets par an ! Quand je veux créer un muret sur le littoral cannois, on m’oppose une norme de hauteur… Pour installer des panneaux solaires sur un local à poubelles situé sur l’île Sainte-Marguerite, on a dû remplir des formulaires pendant deux ans. Au bout de ce temps-là, un service régional de l’État a contredit le département et refusé en disant que le site était classé. On crée une spirale infernale sans fin. L’État multiplie les contrôles a priori alors qu’il devrait renforcer les contrôles a posteriori.
Ne cédez-vous pas vous aussi à la tentation du « yakafaukonisme », maladie galopante?
Je le réfute. Dans ce cas-là, supprimons le contrôle parlementaire, l’opinion civique… Poser des constats, marquer des réprobations, proposer des solutions alternatives fait partie d’une bonne hygiène démocratique, et notre démocratie est bien mal en point. Depuis sept ans, mon équipe et moi, nous réduisons la dette de Cannes, pratiquons la sobriété fiscale, renforçons la productivité des services. On me disait que c’était impossible. Le fatalisme ne fait pas une politique. Sur l’action gouvernementale face au Covid-19, j’ai commencé à m’exprimer publiquement quand Christophe Castaner, qui était alors ministre de l’Intérieur, a reproché aux maires de fournir des masques, alors que nous pallions les carences de l’État en suivant un protocole très rigoureux. Quand on ouvre des vaccinodromes, que l’on fournit du matériel de protection aux soignants ou des thermomètres à l’hôpital, qu’on héberge les SDF, qu’on prend soin des personnes isolées et âgées, qu’on délivre des services essentiels, on est dans le concret ; tout le contraire du « yakafaukonisme » ! Qui est plutôt la pratique de l’exécutif quand il annonce à la télévision des mesures et qu’il pense qu’elles se mettent en oeuvre toutes seules.
« Le macronisme, c’est la promotion Senghor de l’ENA qui a remplacé la promotion Voltaire. »
Les maires ne profitent-ils pas de cette crise pour régler de vieux comptes avec le jacobinisme?
Non, nous nous retenons beaucoup, car nous sommes aussi localement des représentants de l’État. Mais il faut quand même se souvenir qu’en pleine campagne #BalanceTonPorc, l’exécutif nous a sorti un #BalanceTonMaire… Durant cette crise, le pouvoir a beaucoup insisté sur le couple maire-préfet : c’est une fiction puisque nous apprenons les décisions nous concernant à la télé ! Cela fait un bout de temps que les maires – de gauche, de droite, du centre ou des extrêmes, femmes ou hommes, jeunes ou vieux – s’inquiètent du retour d’une tutelle étatique qui étouffe l’initiative au détriment de la performance publique comme des initiatives privées. Depuis des années, on nous bombarde de procédures administratives, de schémas directeurs, d’un enchevêtrement de normes, la loi NOTRe, etc. Il faut renverser la table, pour redonner le pouvoir à la souveraineté populaire et de la responsabilité aux fonctionnaires de terrain, mettre en place un management participatif dans la fonction publique, instaurer la concurrence entre écoles et que le concours ne soit pas la seule voie d’accès à la haute fonction publique. Pourquoi les universités ne peuvent-elles pas former de fonctionnaires ? Pourquoi n’est-il pas plus facile pour des gens du privé de passer dans le public ? Je propose un plan Capex, comme dans les entreprises mais pour la fonction publique d’État, afin de transformer les dépenses de fonctionnement en investissements pour améliorer l’outil de travail, redonner la fierté du service. Le conformisme, tare des derniers pouvoirs, paralyse l’action publique et nourrit les démagogies. Le macronisme, c’est la promotion Senghor de l’ENA qui a remplacé la promotion Voltaire.
Concourrez-vous pour être le candidat de la droite à la présidentielle?
J’ai parfaitement conscience du caractère disproportionné de la question par rapport à mes limites… À commencer par celle de la notoriété. J’essaie simplement de faire valoir mes convictions. Macron-Le Pen, quel triste duel pour 2022 ! Notre pays est plus grand que cela. On voit bien que nous sommes dans une période de transition dangereuse, il n’y a pas d’offre politique alternative et, pour l’instant, ni la droite ni la gauche ne sont audibles. Or, si nous arrivons à constituer une équipe avec une vision claire, qui rejette tout marketing électoral et qui soit crédible sur « comment mieux diriger le pays », émergera alors une offre politique forte, porteuse d’une nouvelle espérance française pour nos enfants. Voilà ce qui me motive. Je ne sais pas qui cristallisera cela, mais la responsabilité des vrais hommes d’État est de transformer les mécontentements en énergie positive. Alors, je cherche à mon niveau à créer un effet collectif avec des personnes nouvelles et un certain état d’esprit. Ce qui manque à la droite, c’est l’esprit de d’Artagnan, du panache, sans oublier l’humour et l’autodérision…
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