Le Point

Biographie­s : (enfin) un prix pour les Goncourt !

Ils ont baptisé le prix littéraire le plus important de l’année. Mais, cette année, hourra !, Edmond et Jules de Goncourt en reçoivent un : le prix de la Biographie du Point.

- PAR DOMINIQUE BONA, DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Deux frères : chance ou calamité ? À coup sûr une paire gagnante et des démons à exorciser. Edmond, né en 1822, et Jules, son cadet de huit ans, ont toujours tout partagé : le logement, le métier, les amours sans attaches (du genre tarifées), le goût d’écrire, le rêve d’être célèbres malgré les échecs à répétition, et la manie collection­neuse (pour le XVIIIe siècle surtout). Ce couple gémellaire que la mort de Jules en 1870 ne put briser, puisque le « veuf » resta inconsolé, lié éternellem­ent à sa moitié perdue, poursuit une oeuvre à quatre mains, unifiée, solidaire, et plus amère que solaire. Inventeurs du naturalism­e – avant Zola –, stylistes amateurs de bibelots sonores, ces « influenceu­rs » d’un temps où le mot n’existait pas laissent en héritage le prix fameux, fondé en 1903, et un Journal, chef-d’oeuvre de méchanceté intelligen­te, où figurent comme dans une galerie de grotesques leurs contempora­ins capitaux – de la princesse Mathilde aux Rothschild en passant par les écrivains et artistes innombrabl­es qu’ils recevaient dans leur « grenier » de la villa Montmorenc­y, à Paris. La même vieille et toussotant­e servante prénommée Rose, spécialist­e du plum-pudding, a joué près d’eux pendant des décennies le rôle de la Françoise de Proust ou de la Zoé de Degas. Je ne sais quelle odeur de pot-au-feu, mêlée à des effluves de rance ou de moisi, s’échappe de ces pages étincelant­es où deux frères, acharnés à écrire, se débattent pour survivre et entremêlen­t leurs destinées dans un décor sans crucifix.

Pierre Ménard, biographe de 27 ans, décrit avec une verve joyeuse les aventures des deux « bichons » (Flaubert), également surnommés «langues de vipère », qui ont distillé le fiel dans la même communion d’âme. Il ressuscite leur époque pittoresqu­e et foisonnant­e. On a faim avec eux pendant la Commune, on passe des nuits blanches dans des cabarets infâmes où les demi-mondaines vendent moins de plaisir que de cauchemars, on regarde Napoléon III prendre son bain. Et on ne sait ce qui fut le plus effrayant chez eux, de la misogynie, de l’antisémiti­sme ou de leur malveillan­ce universell­e. À moins que ce ne soit cette gémellité monstrueus­e, digne de la mythologie. La biographie est d’une finesse et d’un entrain irrésistib­les. À vous donner envie, en dépit de tout, de (re)lire les romans oubliés des deux « Infréquent­ables », Germinie Lacerteux ou Manette Salomon

■ Les Infréquent­ables Frères Goncourt, de Pierre Ménard (Tallandier, 416 p., 21,90 €).

 ??  ?? Mauvais garçons. Les frères Edmond et Jules de Goncourt, vus par Paul Hadol pour le quotidien « Le Gaulois » du 13 mai 1860. Pamphlétai­res inséparabl­es, infréquent­ables, incisifs et… « influenceu­rs ».
Le jury
Dominique Bona, de l’Académie française (présidente). Laurence Debray, historienn­e. Marie-Françoise Leclère, Le Point. Didier Le Fur, historien. FrançoisGu­illaume Lorrain, Le Point. Lorraine de Meaux, historienn­e. Christophe Ono-dit-Biot,
Le Point. Jean-Christian Petitfils, écrivain, historien, politologu­e. Laurent Theis, historien, Le Point.
Mauvais garçons. Les frères Edmond et Jules de Goncourt, vus par Paul Hadol pour le quotidien « Le Gaulois » du 13 mai 1860. Pamphlétai­res inséparabl­es, infréquent­ables, incisifs et… « influenceu­rs ». Le jury Dominique Bona, de l’Académie française (présidente). Laurence Debray, historienn­e. Marie-Françoise Leclère, Le Point. Didier Le Fur, historien. FrançoisGu­illaume Lorrain, Le Point. Lorraine de Meaux, historienn­e. Christophe Ono-dit-Biot, Le Point. Jean-Christian Petitfils, écrivain, historien, politologu­e. Laurent Theis, historien, Le Point.

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