Le cosmos, un bijou de prestige, par Kamel Daoud
Chine, Émirats… et bientôt la Turquie ? La conquête spatiale est devenue le nouveau dress code des nations.
Comment reconnaître désormais, dans un bal cosmique ou un dîner à l’ONU, une nation puissante ? Au téléphone rouge, au bouton nucléaire, à la démographie des drones, aux armées et à la conquête de l’espace. Marcher sur la Lune, posséder quelques kilos de roches lunaires ou envoyer un appareil photo sur Mars pour faire prendre un selfie à un peuple entier fait désormais partie de l’attirail de la « parfaite nation », comme on parlait du « parfait gentleman » anobli par ses actes et fortunes. Le ciel est aujourd’hui le domaine du prestige international et de la démonstration de force. D’ailleurs, on ne conçoit plus les plus grands monuments en les mesurant aux pyramides mais aux prouesses technologiques, nationales de préférence, qui permettent d’envoyer dans les cieux un appareil de moins de 100 kilos.
La liste est ouverte depuis peu. Fin décembre 2020, alors que la planète est immobilisée par le Covid, la Chine réussit à envoyer sa sonde Chang’e 5 sur la Lune.
Une première depuis 1976 qui relance la course aux étoiles et au « premier pas pour chacun ». Mais c’est en février 2021 que Mars entre dans la danse, sur le rythme fou du Norvégien Amundsen parti à la conquête du pôle Sud en 1911. Trois pays envoient vers la planète rouge trois satellites en mode concurrence. D’abord les Émiratis avec Al-Amel, traduire « espoir ». Suivent les Chinois avec Tianwen-1 (qui signifie « question au ciel »). La troisième sonde est américaine. Elle arrivera jeudi 18 février et s’appelle Perseverance. À l’appel des cieux il manquait un populiste qui jouerait à la fois sur le souvenir de l’empire, la certitude d’être élu par Dieu et l’envie de démontrer son appartenance au club des puissances. Erdogan ne pouvait pas, au regard de son ego, rater la promesse de marcher dans le ciel avant 2023 comme il en a fait le serment. Après son projet de construire la plus grande mosquée du monde (celle de Çamlica) avec le minaret le plus haut du monde, le dictateur turc se tourne vers le ciel pour y lancer la plus haute pierre et le plus loin possible. Son rêve oblige presque à relire L’Air et les Songes, de Bachelard, sous l’angle d’une thérapie de dictateur ou de l’affirmation de puissance, de l’extension du domaine de souveraineté.
Question importante : entre Allah, Armstrong, l’infini, un trou noir cloué par un chiffre et Arthur C. Clarke, à qui appartient le ciel désormais ? Comment fonder une législation de la propriété en ces terrae novae ? À quel coût sur Terre correspond un seul pas sur la Lune ? L’avenir nous renvoie déjà vers les lois de la découverte du Nouveau Monde et sur d’étranges et possibles remakes de la conquête de l’Amérique. On y retrouvera, éventuellement, le Far West, la colonisation ou l’exploitation, l’extinction (un jour) et la refondation. Et peut-être même les disputationes théologiques les plus absurdes et les plus médiévales : dans quel sens prier quand on est cosmonaute ? Et que faire lorsque c’est La Mecque qui vous tourne autour, en bas, au lieu que cela soit vous qui tournoyiez autour de son nombril obscur ?
En attendant, on sait aujourd’hui quel est le dress code des nations et quels sont les étranges instruments des virilités collectives. La Lune ou le cosmos, des bijoux de prestige ? Oui. Définitivement. Il n’y a pas mieux, pour un politicien qui veut conquérir le pouvoir ou le garder sans fin, que d’être élu au ciel. C’est là que les plus ambitieux cherchent des électeurs et des adorateurs
■
Entre Allah, Armstrong, l’infini, un trou noir cloué par un chiffre et Arthur C. Clarke, à qui appartient le ciel désormais ?