Enchères : l’énigme Margiela
Le couturier belge a choisi de ne s’exprimer qu’à travers ses vêtements : une collection dispersée par Sotheby’s dit la modernité de sa vision sur la mode.
Martin Margiela est l’inconnu le plus célèbre de la mode. Refusant l’exposition médiatique du système, le créateur belge, formé à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, n’a jamais accordé d’entretien ni dévoilé son visage. Pas de portrait, pas de prise de parole sinon par ses vêtements, pas même d’annonce de son départ de sa propre maison, en 2009. À cette absence de verbe et d’image répond une pléthore de gloses et d’interprétations. Rares sont les couturiers qui de leur vivant ont connu des rétrospectives organisées par d’autres qu’eux-mêmes – Saint Laurent au Metropolitan Museum de New York fut le premier. «Martin», comme on dit dans le microcosme pour indiquer sa proximité – souvent imaginaire – avec le couturier belge (le snobisme le plus pointu du milieu), a déjà eu droit, lui, à plusieurs de ces événements – éclairant sa collaboration avec Hermès à Anvers puis au MAD de Paris, ou proposant une vision chronologique de son travail au palais Galliera. Chercheurs et historiens lui ont consacré thèses et exposés, et les collectionneurs se sont emparés de son travail – il est probablement le seul à provoquer un tel engouement lors des ventes. C’est ainsi que Sotheby’s disperse la seconde partie d’une collection privée consacrée à ses pièces : on y retrouve ce qui fait la modernité de sa vision – avec en particulier un focus sur la «rétrospective» de 1994 et la ligne Artisanal, la couture de Margiela. Bien avant que l’upcycling ne devienne l’antienne de l’époque, Martin Margiela créait des vêtements à partir de pièces déjà existantes – à l’instar de cette jupe tablier en foulards anciens (Artisanal, printemps-été 1992, 2 000 à 2 500 euros). Bien avant que la question du genre ne se pose, il en avait dissous les frontières – comme avec ce gilet et cette jupe faits de manches de vestes d’hommes assemblées (Artisanal, automne-hiver 20032004, 2 000 à 3 000 euros). Bien avant que la question de la durabilité ne s’impose à l’industrie, il s’amusait à créer des imprimés avec des photographies en trompel’oeil de vêtements anciens (comme cet ensemble du printemps-été 1996 estimé entre 3 000 et 5 000 euros). En déconstruisant les codes et les vêtements, en les « décortiquant », comme dit aujourd’hui John Galliano, qui lui a succédé à la tête de Maison Margiela, le créateur a redéfini ce que pouvait être un vêtement, ce qu’il disait de son époque et de celui qui le portait. Mieux qu’un manifeste ■
« Martin Margiela, hors normes II », vente en ligne du 3 au 9 mars, www.sothebys.com.