Mode : eh bien, brodez maintenant !
On le croyait ringard ? Le point de croix et ses comparses n’ont jamais été autant à la pointe de la mode.
Ce sont quelques morceaux de fil qui peuvent changer un banal tee-shirt blanc. Lui apporter un supplément d’âme, une identité créative, un twist arty, une personnalisation. Longtemps réservée aux trousseaux des jeunes mariées ou aux réalisations minutieuses des petites mains oeuvrant pour la haute couture, la broderie a désormais les faveurs d’une jeune génération de créateurs qui aiment détourner ses codes classiques. « Cela remonte à l’arrivée d’Alessandro Michele, en 2015, chez Gucci. C’est lui qui a remis le maximalisme au goût du jour, avec notamment des sacs et des blousons en satin brodés de serpents, de tigres…, développe Thomas Zylberman, styliste tendances chez Carlin International. Aujourd’hui, des magasins comme Le Bon Marché proposent des stands de personnalisation pour faire broder sur place son jean, par exemple. Pour les marques émergentes, c’est un médium intéressant car il apporte de la souplesse en termes de production et permet de créer une identité, même sur des petites séries. »
En 2011, Maison Labiche se fait connaître avec ses tee-shirts brodés à la main de noms inattendus, comme « Billie Jean» et «Calamity Jane». Dix ans plus tard, la marque parisienne a étoffé son offre avec des marinières, des vestes de travail, des robes, des bodys dont le message peut aussi se broder à la demande. D’autres jeunes marques ont également choisi la broderie pour débuter car, contrairement à la création d’un tissu ou d’une impression sur mesure, elle demande peu de matériel. C’est le cas de Brutale Broderie, lancée en 2020 par une ancienne collaboratrice de la maison de couture Schiaparelli. «J’avais envie de prendre le contre-pied du raffinement des petites mains du milieu du luxe en proposant des broderies un peu brutes, enfantines avec du fil à tapisserie, plus épais, plus généreux », explique la fondatrice Pauline Malingrey. À l’image de ses tee-shirts numérotés et disponibles sur commande en huit exemplaires, pas un de plus : un coton-tige sale, un oeuf au plat, une part de pizza…
Loin de l’univers fleur bleue des motifs fleuris, la nouvelle génération prend un malin plaisir à détourner cet art traditionnel. Traditionnel et historique, puisque la première trace de broderie remonterait au IVe siècle avant Jésus-Christ. «Les plus anciennes ont été retrouvées en Égypte, raconte Nadia Albertini, chargée du patrimoine chez le brodeur historique Maison Hurel. À partir du Xe siècle, la broderie est souvent liée aux pièces liturgiques comme les chasubles, car l’Église en a les moyens. C’est le cas de la tapisserie de Bayeux, brodée au XIe siècle, qui raconte la conquête de l’Angleterre. Au XIIIe siècle, la famille royale devient l’un des plus grands commanditaires des brodeurs alors organisés en corporation. Aujourd’hui, si la broderie reste traditionnelle, elle est aussi disruptive avec des créateurs qui s’en emparent comme d’un moyen pour chambouler les codes et exprimer un style pictural. »
Et si la broderie demande un peu plus de doigté que le tricot, elle fait partie de ces activités créatives qui ont le vent en poupe, particulièrement depuis le confinement. En témoigne la multiplication de ces kits avec tambour et aiguille pour pouvoir enfin dire « c’est moi qui l’ai fait »
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