Le Point

Le réseau des Instituts Confucius

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La France héberge 18 Instituts Confucius. Le premier a ouvert en octobre 2005 à l’université de Poitiers, en partenaria­t avec l’équipement­ier telecom chinois ZTE. En 2013, les université­s de Lyon ont fermé le leur, refusant de se soumettre à la censure de Pékin. L’année suivante, à la suite d’un autre incident de censure à l’institut de Braga, au Portugal, plusieurs université­s occidental­es, comme Stockholm et Chicago, quittent le programme. Le 18e Institut Confucius de France a été inauguré en 2019 à Pau. En 2020, le réseau des « IC » aux États-Unis a été classé « mission diplomatiq­ue », ce qui permet aux autorités américaine­s de mieux le surveiller et de contrer ses opérations d’influence étrangère.

Diplomatie parallèle. Il va donc se refaire en Chine. En novembre 2017, il est engagé comme professeur associé à l’université du Sud-Ouest, à Chongqing, et devient Senior Adjunct Fellow au Charhar Institute – dont l’ex-consul à Strasbourg est secrétaire général. Cette organisati­on est l’un des trois plus importants think tanks chinois, ces groupes de réflexion en théorie indépendan­ts des gouverneme­nts en Occident, mais pas en Chine. S’il n’est pas affilié directemen­t à un ministère, Charhar a été créé par Han Fangming, vice-président de la commission des affaires étrangères de la Conférence consultati­ve politique du peuple chinois (CCPPC), une assemblée fantoche qui sert à la politique d’influence sociale et internatio­nale du Parti communiste chinois. « La CCPPC, c’est l’expression institutio­nnelle du Front uni, le réseau d’influence du Parti communiste chinois, décrypte Nadège Rolland, chercheuse au National Bureau of Asian Research, un think tank américain. La mission du Front uni est d’étendre le cercle des “amis de la Chine” et de former des alliances temporaire­s avec des gens qui ne sont pas des ennemis du Parti. L’objectif est de servir le Parti, par exemple en signant des contrats sur les “nouvelles routes de la soie”, ou en défendant la “lutte antiterror­iste” au Xinjiang. »

Cette stratégie de séduction globale vise d’abord les «délaissés», les pays et les régions laissés pour compte de la mondialisa­tion libérale et du camp occidental, et les institutio­ns de deuxième ou troisième rang, comme certaines université­s françaises. Dans cette diplomatie parallèle, on

masque les ambitions tournées ■ contre les démocratie­s occidental­es et les sujets qui fâchent. Tout est «enrobé dans une sorte de coulis mielleux », l’image d’une « civilisati­on pacifique », qui « voit dans la longue durée », résume Nadège Rolland. « En réalité, on n’est pas dans le soft power, prévient cette ancienne du ministère de la Défense. On est dans la puissance dure, orwellienn­e. » Comme quand le Front uni monte en ligne pour défendre la Chine sur les Ouïgours ou Hongkong. « Je ne suis pas du tout rémunéré par Charhar, assure Christian Mestre, tout en reconnaiss­ant en revanche être payé pour ses cours à l’université de Chongqing. Je fais cela par amitié pour des membres du think tank. »

Trouble-fête. Ne le croisant plus qu’une ou deux fois par an sur leur campus, les collègues de Mestre à l’université de Strasbourg l’ont presque oublié. Mais la Chine se rappelle à eux. Le 24 janvier 2019, le départemen­t de chinois accueille une journée d’études sur la « population ouïgoure au Xinjiang, entre acculturat­ion et persécutio­ns », un colloque avec certains des meilleurs spécialist­es francophon­es de la question. Le consulat de Chine a menacé en vain la présidence de l’université de Strasbourg. Faute d’avoir fait annuler l’événement, deux envoyés du consulat, qui se présentent comme de simples citoyens chinois, perturbent les débats. Le directeur du départemen­t, Thomas Boutonnet, se retrouve pris en tenaille entre la « pugnacité et la violence » des paroles des troublefêt­e et les réactions du public. « J’ai coupé court au bout d’un quart d’heure, raconte-t-il. Ce qui m’a mis hors de moi, c’est quand je me suis aperçu qu’ils avaient déposé des petits pamphlets sur “Les progrès de la cause des droits de l’homme au Xinjiang” sur les tables à la sortie, comme s’il s’agissait de documents officiels du séminaire. Ça a été la goutte de trop. Le président de l’université de Strasbourg, Michel Deneken, a fait ce qu’il fallait et a écrit au consul un courrier en mettant en valeur la liberté scientifiq­ue. »

Rien n’a filtré publiqueme­nt, au risque de donner aux diplomates chinois un sentiment d’impunité. En avril 2019, Nicolas Nord dîne au consulat de Chine. Le doyen honoraire est là. « J’ai assisté bien malgré moi à la genèse du voyage de Christian Mestre au Xinjiang, admet-il. Le consul lui a fait cette propositio­n d’un voyage tous frais payés. En quelques minutes, c’était réglé. » On connaît la suite. Le séminaire est encore une fois organisé par la Société chinoise pour les études sur les droits de l’homme et présidé par le numéro deux du Bureau central de la propagande, Jiang Jianguo ! Mestre, lui, a prononcé un des discours d’ouverture. Et il ne s’est pas arrêté là. Il a continué d’intervenir dans des médias chinois en 2020, cette fois sur le Covid-19. Au cours d’une conférence organisée à Chongqing, par la même Société chinoise, il a accusé le gouverneme­nt français d’avoir privé les « groupes vulnérable­s » et les « soignants » de leur droit à la vie, par sa « négligence » et ses « erreurs ». Et d’appeler ses collègues chinois à «organiser d’ici à deux ou trois ans une conférence spéciale sur la responsabi­lité des États pour avoir enfreint les droits de l’homme lors de la crise du coronaviru­s ». Pour faire le procès des dirigeants occidentau­x, pas de Pékin.

S’ils s’inquiètent d’un engagement de plus en plus politique, ses confrères strasbourg­eois pointent une « dérive individuel­le », rappellent les partenaria­ts sérieux dans de très nombreux domaines, en particulie­r

« On est dans la puissance dure, orwellienn­e. » Nadège Rolland, chercheuse

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