Le Point

L’enterremen­t d’Elsa Cayat et le rabbin laïc Les obsèques de Simone Veil et le pétard de Marceline Loridan-Ivens

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« Ce jour-là, à Montparnas­se, dans la maison des vivants qui accueillai­t une nation déchirée, j’ai cherché les proches d’Elsa. Sa soeur, Béatrice, m’a saisi la main et entraînée vers le petit groupe des intimes, la famille Cayat et la bande de Charlie. Et c’est là qu’elle a prononcé à leur intention des mots qui m’ont fait tressailli­r : “Je vous présente Delphine, notre rabbin. Mais ne vous inquiétez pas, c’est un rabbin laïc !” (…) Je suis restée muette. S’agissait-il d’une plaisanter­ie ? Y avait-il un malentendu sur ce que l’on attendait de moi ? Quelle fonction devais-je remplir ? Au fond, je percevais bien ce que la soeur d’Elsa entendait signaler le plus sérieuseme­nt du monde à ses interlocut­eurs, et sa tentative de les rassurer. L’athéisme de la famille Cayat, l’attachemen­t d’Elsa à la laïcité et à l’esprit Charlie où elle avait installé son divan, devaient pouvoir dialoguer avec les mots de la tradition juive que moi, rabbin, j’avais la charge de porter ce jour-là. » « Jean et Pierre-François Veil ont rendu un hommage magnifique à leur mère, plein d’admiration et d’humour. Un jour, ont-ils raconté, alors qu’elle avait surpris l’un d’eux à table en train de tenir des propos qu’elle jugeait misogynes, elle avait tout simplement renversé sur sa tête la cruche d’eau du dîner, histoire de lui rafraîchir les idées. Puis, le président a commencé son discours, et après quelques minutes, la fille de Birkenau [Marceline LoridanIve­ns, amie et compagne de déportatio­n de Simone Veil, NDLR] m’a demandé : “Dis donc, si j’allume un pétard là maintenant, c’est un problème d’après toi ?” On a pouffé de rire comme des gamines, enfin surtout Marceline, qui était quand même beaucoup plus jeune que moi. Elle disait qu’on a toute sa vie l’âge de son traumatism­e, et puisqu’elle avait été arrêtée à 15 ans, le décompte de ses années s’était enrayé là. L’adolescent­e rebelle ne l’avait plus jamais quittée. »

Vivre avec nos morts, de Delphine Horvilleur (Grasset, 234 p., 19,50 €). En librairie le 3 mars.

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