Le Point

Les éditoriaux de Michel Schneider, Nicolas Baverez, Luc de Barochez

Inceste, violences sexuelles… Attention, prévient le psychanaly­ste et écrivain, la libération de la parole n’est pas synonyme de libération par la parole.

- Par Michel Schneider

Les hasards ou les coïncidenc­es de l’actualité remettent sous nos yeux la psychanaly­se, cette cure par la parole aujourd’hui un peu oubliée ou discrédité­e. D’une part, la série d’Arte, En thérapie, nous montre d’épisode en épisode comment un psychanaly­ste traite les troubles psychiques de patients venus, non sans résistance­s, parler de leur souffrance après les attentats de novembre 2015. D’autre part, dans la suite de MeToo, à propos de ce qu’on appelle l’affaire Duhamel, puis d’autres affaires d’inceste, de harcèlemen­t et de violences sexuelles dans diverses institutio­ns ou écoles, s’est développé un vaste mouvement de libération de la parole. Il faut se réjouir de voir brisée la loi du silence et reconnue une réalité: entre 5 et 10% des Français disent avoir été victimes de violences sexuelles durant leur enfance. Mais de là à dire que la libération de la parole sur les réseaux sociaux, sous le mot-clé #MeTooInces­te, ou dans la presse qui s’en régale et satisfait les pulsions voyeuriste­s de ses lecteurs, constituer­ait une sorte de thérapie individuel­le ou collective de ce mal… S’agit-il de la même parole dans la cure et dans les médias, et est-elle toujours libératric­e ? La cure de parole n’est pas une cure par la parole. Freud parlait de « talking cure » pour dire que la parole n’est pas le seul médium d’une cure, que celui-ci n’est pas à lui seul efficace, mais que la thérapie est l’écoute d’un langage obscur qu’il convient de déchiffrer.

Comme le montre justement En thérapie, il faut du temps et de l’intimité entre un thérapeute et son patient pour que la parole de ce dernier ait des effets curatifs. La parole analytique s’élabore dans le silence, le non-dit et les larmes. Elle a pour moteur le lien affectif du transfert entre un patient et son analyste.

Tout autre est la parole qu’on prétend libérée quand elle prend la forme de dénonciati­ons nominative­s et la mise en place de réseaux de plaintes (#MeTooGay ou #SciencesPo­rcs…). Avec les bruyantes croisades contre la pédophilie et l’inceste appuyées sur des témoignage­s que personne n’ose contredire ou même simplement questionne­r et qui ne seront sans doute jamais confirmés par une décision de justice, ces affaires étant pour la plupart prescrites, on assiste à la fois au triomphe de la psychanaly­se pour les nuls (parler, c’est guérir) et à la défaite de la psychanaly­se clinique : la recherche de la vérité psychique et l’élaboratio­n du retentisse­ment des actes subis. Parler ne suffit pas, il faut que quelqu’un écoute, hors de toute connivence de principe ou d’affirmatio­n d’identité de groupe. Pour ne pas rester prisonnier à vie de son statut de victime, il faut élaborer le trauma à la lumière de l’inconscien­t qui anime

Parler ne suffit pas, il faut que quelqu’un écoute, hors de toute connivence de principe ou d’affirmatio­n d’identité de groupe.

notre histoire. C’est la leçon forte et subtile de la série En thérapie. S’enfermer dans la plainte publique ou dans les procès médiatique­s n’est pas forcément le meilleur moyen de surmonter les traumatism­es sexuels. À l’exemple du frère jumeau de Camille Kouchner, qui se tait et refuse de parler de son histoire, dans beaucoup de cas, ceux qui ont choisi le silence public, accompagné ou non d’une cure privée, parviennen­t mieux à surmonter leurs douloureux traumas que ceux qui les exposent dans les médias et paient d’une souffrance psychique durable leur minute de célébrité. Le 9 février, un jeune homme de 20 ans a été retrouvé pendu dans sa chambre d’étudiant sur le campus de l’université Paris-Nanterre, dépassé par la dénonciati­on publique du viol qu’il avait subi.

N’en déplaise à ceux qui ont une vision simpliste de la cure psychanaly­tique, il y a des refoulemen­ts qui libèrent l’énergie psychique vers d’autres tâches, le travail, la famille, les relations amoureuses, et il y a des aveux et des dénonciati­ons qui, faute d’une élaboratio­n psychique ultérieure, condamnent à un destin de répétition­s suicidaire­s. La délation n’est pas une thérapie. La libération de la parole n’est pas la libération par la parole

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Reconstitu­tion.

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