Le Point

Art : Kehinde Wiley, l’Afrique épique

Le portrait d’Obama, c’est lui. Le hip-hop le révère. Il se raconte depuis Black Rock, la résidence d’artistes qu’il a créée à Dakar.

- PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE, ENVOYÉE SPÉCIALE À DAKAR

Le 28 février 2020, l’artiste africain-américain Kehinde Wiley, pape de la pop culture noire, fêtait à Dakar ses 43 ans, dans sa résidence de Black Rock (à ne pas confondre avec la multinatio­nale de gestion d’actifs!). Il n’imaginait pas se trouver encore au Sénégal, à l’aube de son 44e anniversai­re, face à l’océan. Pandémie « oblige ». Et ce n’est pas une punition ! Ce lieu luxueux est un paradis de la création, autant pour le portraitis­te d’Obama, celui dont tout le monde a vu la représenta­tion du président américain sur fond de motifs floraux (ci-contre), que pour les artistes du monde entier qu’il y accueille en résidence. Black Rock se découvre sur la roche volcanique de la côte sénégalais­e, au rivage nord de la capitale, édifice ultraconte­mporain signé par l’architecte sénégalais Abib Djenne, et habillé avec un raffinemen­t extrême par une compatriot­e, la designer Aïssa Dione. La végétation vous y enveloppe dès l’entrée, où, à côté d’un aquarium, s’impose une porte de six mètres de hauteur : en référence inversée à la « porte du non-retour », celle des esclaves de l’île voisine de Gorée, que la traite a contraints à quitter leur terre africaine pour les Amériques. Ici, Wiley a ses appartemen­ts privés, mais l’homme, partageur et généreux (nous ont dit ses hôtes rencontrés lors de notre visite à Black Rock), y accueille les artistes avec maints égards : studio et chambre individuel­s et, en commun, salle de sport, sauna, cuisine avec un chef aux petits oignons, piscine à débordemen­t et vue majestueus­e sur la mer. Le peintre est le premier à en profiter. « Le jardin est formidable, et l’océan, très poissonneu­x, donc je jardine et je pêche, oui. Mais je passe le plus clair de mon temps dans mon atelier, à peindre. J’ai peu de distractio­ns loin de ma vie new-yorkaise, je n’ai pas à me soucier de ce que je dois porter (rire dans la voix), cette vie très simple m’a rendu beaucoup plus productif. »

Dakar, porte ouverte sur l’Afrique

Mais pourquoi ce choix de Dakar pour celui qui, de Harlem à Brooklyn, a magnifié les corps noirs, peint en majesté toutes les stars du hip-hop – qu’on a pu voir dans la série Empire –, parcouru le monde (de 2007 à 2019) pour sa série La Scène mondiale (The World Stage), de la Chine à Israël, de Haïti à Tahiti, de l’Inde au Brésil, et même en France? « Mon identité est complexe, précise Kehinde Wiley, né en 1977 à Los Angeles. Mon père est nigérian et ma mère américaine. J’ai grandi en Californie, élevé par ma mère parce que mon père est retourné au Nigeria, et, quand j’ai eu 18 ans, j’ai voulu le retrouver. J’ai voyagé vers Lagos avec une compagnie nommée Air Afrique qui faisait étape au Sénégal, où je me suis arrêté en chemin. Ce fut ma première vision de l’Afrique. Des amis sénégalais d’amis américains m’ont fait visiter Dakar, et j’ai su que je voudrais travailler là. J’ai cherché des opportunit­és pour y aller le plus souvent possible, et, au final, j’y ai ouvert un atelier. Un jour, je me suis assis avec un architecte et puis c’est devenu… Black Rock. »

Ce qu’il a éprouvé en posant le pied en Afrique, ce qu’il a découvert du continent, est à la base de la création de la résidence, inaugurée en mai 2019. « Je veux que toutes les personnes de bonne volonté qui souhaitent appréhende­r le pays apprennent de leur expérience ici en touchant les choses de près, qu’ils connaissen­t l’Afrique de l’intérieur, par eux-mêmes, et pas seulement par ce qu’ils ont lu sur Internet ou vu à la télévision. L’Afrique a plein de facettes, des territoire­s immenses, la savane, le bord de mer, les forêts, et aussi des

 ??  ?? Icônes. Sensible à l’oeuvre des grands maîtres anglais et français du portrait, l’artiste africain-américain Kehinde Wiley (ici dans son atelier de New York) met en situation de pouvoir ceux qui ne l’ont pas été pendant des siècles.
Icônes. Sensible à l’oeuvre des grands maîtres anglais et français du portrait, l’artiste africain-américain Kehinde Wiley (ici dans son atelier de New York) met en situation de pouvoir ceux qui ne l’ont pas été pendant des siècles.
 ??  ?? Floral. En toile de fond du portrait officiel de Barack Obama, Wiley a peint les lys africains pour évoquer son père kényan, le jasmin de son enfance à Hawaii et les chrysanthè­mes, emblèmes de Chicago, où il a fait carrière.
Floral. En toile de fond du portrait officiel de Barack Obama, Wiley a peint les lys africains pour évoquer son père kényan, le jasmin de son enfance à Hawaii et les chrysanthè­mes, emblèmes de Chicago, où il a fait carrière.

Newspapers in French

Newspapers from France